Kalâm
(théologie)

Pour les musulmans: le kalâm forme un corpus théologique apte à répondre aux questions controversées suivantes:

- l'homme est-il libre de ses actes ou tout est-il voulu par Dieu? (voir article Qadar)

- le Coran parle d'un Verbe de Dieu. Cette Parole est-elle créée ou incréée? Est-elle Dieu? (voir article Verbe)

- Dieu a-t-il des attributs: Parole, Sagesse, Miséricorde? (voir article Trinité)

- le texte du Coran est-il explicite dans tous les cas ou fait-il aussi appel à l'allégorie, à la métaphore? Comment surmonter les contradictions opposant bon nombre de versets coraniques? (voir article Zahirisme)

Sur la base des thèmes ci-dessus définis, le kalâm, ou théologie spéculative, se divise en plusieurs écoles:

- Hashwiyya: l'école hashwiyya, ou "corporéiste", soutient qu'il faut prendre au pied de la lettre les versets anthropomorphiques du Coran. Dieu a ainsi des capacités corporelles, Lui qui "siège sur un trône" et qui "en descend". Cette tendance corporéiste fut prépondérante aux débuts de l'Islam et se trouva être en écho favorable avec l'Incarnation prêchée par les chrétiens. A cause de cela, les opposants musulmans à cette doctrine lui donnèrent son nom sous un terme injurieux, hashw, qui signifie farce, au sens de farci.

- Zahirite: l'école zahirite, fondée au IX° siècle par Dâoud, et principalement représentée par Ibn Hazm (mort en 1064), insiste, elle aussi, sur le sens littéral des versets coraniques, quoiqu'elle refuse l'interprétation anthropomorphique de l'école précédente. Il s'agit donc d'affirmer la simplicité du Coran, de soutenir le sens "apparent" (Zahir) de ses versets, sans toutefois faire de concession à la doctrine chrétienne de l'incarnation. Ibn Hazm s'en prendra explicitement au dogme chrétien en pensant défendre le Coran: "L'Incarnation est impossible car elle introduit en Dieu une nouveauté, ce qui est contraire à sa nature. Si dans l'Incarnation Dieu change d'état et devient homme, le Messie, Dieu devenu homme, n'est plus Dieu mais homme; inversement, si c'est l'homme qui devient Dieu, le Messie n'est plus homme, il est Dieu; s'il est les deux à la fois, ni Dieu ni l'homme n'ont changé d'état de telle sorte que l'un devienne l'autre, et ils sont juxtaposés, comme l'enseigne la doctrine nestorienne des deux natures et des deux personnes dans le Christ" (Ibn Hazm, Kitâb al-fisal, XI° siècle).

- Qadarite: école fondée dès le VII° siècle par Ma'bad al-Juhanî, qui fut sans doute disciple d'un chrétien irakien, tandis que Ghaylân, un autre représentant du qadarisme, était, lui, un ancien chrétien converti à l'Islam. L'école qadarite (qui "limite le Qadar"), donc, s'oppose, au nom de la justice de Dieu, à ce que les actes humains soient prédéterminés. Là encore, on retrouve une problématique chrétienne du sens de la liberté, impliquant désobéissance, mérite et jugement divin des hommes. Les membres de cette école furent pourchassés et exécutés sous les Califes Omeyyades, dont l'autorité reposait sur le fait même que ce qui est est voulu par Dieu.

- Jabarite: cette école regroupe, à l'inverse, les partisans de la contrainte divine. Elle reçut le soutien et l'aval de la puissance califale Omeyyade.

- Mo'tazilite: école représentée par Wâsil b.'Atâ' (mort en 749), Amr b.'Ubayd (762), Abou-l-Hodhaïl (840), an-Nazzâm (845), Abou-Hâchim (933). Les Mo'tazilites poussèrent à l'extrême les thèses qadarites sur le libre arbitre, entrant ainsi en rébellion ouverte contre le pouvoir des Califes. Ils condamnèrent par ailleurs, tout recours aux attributs de Dieu pour définir ou exprimer les actions divines, faisant prendre de la sorte à l'Islam une orientation définitive et extrêmement limitative de la définition de l'Unicité de Dieu. Mais, pour leur dernière grande thèse, celle de la création du Coran (il s'agissait, une fois encore, de nier l'attribut de la Parole en Dieu), les Mo'tazilites ne furent pas suivi par l'évolution ultérieure de la pensée théologique de l'Islam, puisque, aujourd'hui, l'orthodoxie prêche un Coran incréé, Verbe de Dieu.

- Matoridite: école fondée par al-Mâtorîdî (944) et ayant cherché un compromis entre la raison et la Loi, acceptant la spéculation théologique sans nier l'obligation faite de croire.

- Ach'arite: cette école, fondée par Al-Ach'arî (956), a triomphé de la précédente, instituant la primauté de la Loi sur la raison. Elle impose une vision implacable du volontarisme divin, réduisant ainsi à rien l'importance de la liberté humaine. Conclusion fermée sur elle-même de toutes les grandes questions théologiques qui ont fermentées en Islam, l'ach'arisme est la solution la plus restrictive que l'on pouvait donner de la foi: "il faut croire parce que cela est écrit!", disait Al-Ach'arî.

Cependant, et ce même en ce qui concerne la doctrine ach'arite, le Kalâm demeure suspect aux musulmans intransigeants, et en particulier pour les hanbalites, défenseurs d'un strict juridisme.

Pour les chrétiens: la question théologique primordiale que pose la lecture du Coran est la suivante: l'Islam n'est-il pas, en fin de compte, une hérésie chrétienne? (voir article Révélation). Pour traiter de ce sujet brûlant, nous laissons ici la parole au premier théologien chrétien à avoir approché et étudié, au VIII° siècle, cette "nouvelle religion" venue du désert d'Arabie. Saint Jean Damascène, c'est lui notre premier témoin, semble convaincu de la nature hérétique de l'Islam, puisque, pour commencer, il recense la religion de Mahomet au n°100 de son catalogue d'hérésies chrétiennes et que, plus précisément encore, il écrit: "Donc, jusqu'à l'époque d'Héraclius, ils ont ouvertement pratiqué l'idolâtrie. A partir de cette époque et jusqu'à nos jours un faux prophète, du nom de Mahomet, s'est levé parmi eux, qui, après avoir pris connaissance, par hasard, de l'Ancien et du Nouveau Testament, et, de même, fréquenté vraisemblablement un moine arien, fonda sa propre hérésie" (Hérésie 100, VIII° siècle). Jean Damascène poursuit en donnant les grandes lignes dogmatiques de l'Islam qu'il côtoyait: "Il dit qu'il y a un seul Dieu, créateur de toutes choses, qu'Il n'a pas été engendré et qu'Il na pas engendré. Selon ses dires, le Christ est le Verbe de Dieu et son Esprit, mais il est créé et il est un serviteur; il est né sans semence de Marie, la sœur de Moïse et d'Aaron. En effet, dit-il, le Verbe et l'Esprit de Dieu sont entrés en Marie et on engendré Jésus, qui fut un prophète et un serviteur de Dieu. Et, selon lui, les juifs, au mépris de la Loi, voulurent le mettre en croix, et, après s'être emparés de lui, ils n'ont crucifié que son ombre. Le Christ lui-même, dit-il, ne subit ni la croix ni la mort. En effet, Dieu l'a pris près de lui dans le ciel, parce qu'Il l'aimait. Et il dit également, qu'une fois le Christ monté aux cieux, Dieu l'a interrogé en disant: "Jésus! as-tu dis: Je suis le fils de Dieu et Dieu?" Jésus, d'après lui, a répondu: "Sois miséricordieux envers moi, Seigneur! Tu sais que je n'ai pas dit cela et que je ne dédaigne pas d'être ton serviteur. Mais les hommes mauvais ont écrit que j'avais fait cette déclaration; ils ont menti à mon égard, et ils sont dans l'erreur" (Saint Jean Damascène, Hérésie 100, VIII° siècle). On trouve ici tous les éléments propres à définir une hérésie: appropriation et réinterprétation du rôle et de la personne du Christ. Il est très symptomatique, également, de voir combien, aux débuts de l'Islam, les références au Christ sont prépondérantes, alors qu'aujourd'hui elles semblent quasiment occultées. Cela s'explique par le contexte dans lequel est né l'Islam, contexte profondément judéo-chrétien, pénétré par le discours biblique et les querelles christologiques. L'Islam n'aurait fait, en somme, qu'entrer à son tour dans cette prodigieuse confrontation de points de vue théologiques sur la nature de Dieu et de Son Verbe.