Qadar
(prédestination / libre arbitre)

Pour les musulmans: "Suivant une harmonie divine préétablie, l'homme n'est pas libre de ses actes" (Cheick Si Boubakeur Hamza, Recteur de la Grande Mosquée de Paris). Par là-même, l'homme n'est qu'un instrument agissant selon la volonté divine. L'homme n'agit que par transfert d'action, l'origine de ses actes, en bien comme en mal, relevant de la volonté toute puissante de Dieu: "Ce n'est pas vous qui avez tué les infidèles. C'est Dieu qui les a tués! Ce n'est pas toi, Prophète, qui as jeté la poignée de sable! C'est Dieu qui l'a jetée! (S8,17). Et "il n'est pas de péché qu'une âme commette sans que Dieu joue contre elle" (S6,164).

Pour les chrétiens: Dieu n'est pas la cause de nos maux et nous sommes libres de choisir notre voie. Il va de soi, cependant, que la meilleure voie à suivre, la plus authentiquement humaine, est celle qui conduit au bonheur, celle là-même que Dieu nous invite à choisir. "Dieu a créé l'homme raisonnable en lui conférant la dignité d'une personne douée de l'initiative et de la maîtrise de ses actes. Dieu a laissé l'homme à son propre conseil (Siracide 15.14) pour qu'il puisse de lui-même chercher son Créateur et, en adhérant librement à Lui, parvenir à la pleine et bienheureuse perfection" (C.E.C., n°1730).

Difficultés théologiques: pour les chrétiens, la difficulté découle du fait que le mal soit sans que Dieu ne l'ait créé. Ce qui revient à poser un royaume, celui du Mal, à côté et en opposition avec le royaume de Dieu. Face à un tel constat, les musulmans dénoncent une impuissance partielle de Dieu dans Son gouvernement de l'univers; impuissance théologiquement inadmissible, Dieu étant par définition omnipotent. L'argument musulman faisant de Dieu le créateur du bien comme du mal répond sans ambiguïté à la difficulté des chrétiens d'expliquer que le mal puisse exister sans l'accord de Dieu. Toutefois, voyons ce qu'est le mal avant de trouver judicieux d'en faire une création divine. Le mal ne peut, en effet, ni s'entendre comme un être, ni comme une personne, ni comme une chose, et il n'a pas, par conséquence, d'existence propre. Qu'est-ce donc qu'un non-être, une non-personne, une non-chose, une non-existence? Si ce n'est une absurdité! Le mal est absurde, et c'est pourquoi il est enduré comme un mal. Il ne peut avoir été que le fruit d'une révolte, absurde en soi, d'une créature face à son bien. De telle sorte que le mal, qui n'est pas une réalité existante, mais la négation de toute raison d'être, implique cependant un sujet qui endure son absurdité. Or, l'homme n'a pas été abandonné par Dieu à ce supplice du mal. Dieu fait homme, le Christ, est venu à son tour l'endurer, pour le vaincre une fois pour toute. Sur la Croix et par Sa résurrection, le Christ a libéré l'homme du pouvoir du mal. Telle est la foi chrétienne.

De leur côté, les musulmans éprouvent également une grande difficulté lorsqu'il leur faut expliquer comment Dieu se permet de juger les hommes selon leurs mérites alors que les actions de ces derniers sont prédéterminées par Lui. "Si, comme tu le prétends, le bien et le mal viennent de Dieu, Dieu apparaît injuste. Ce qu'il n'est pas. En effet, si c'est Dieu qui avait prescrit au fornicateur de forniquer, au voleur de voler, et à l'assassin d'assassiner, comme tu le prétends, ces hommes mériteraient une récompense pour leur obéissance à sa volonté. Cela prouve que tes législateurs sont des menteurs et que tes livres sont mensongers, car ils prescrivent d'écorcher le fornicateur et le voleur, qui n'ont fait qu'obéir à la volonté de Dieu, et de tuer l'assassin qu'il faudrait honorer, puisqu'il a accompli la volonté de Dieu" (Saint Jean Damascène, Controverse entre un musulman et un chrétien, -VIII° siècle-). Là réside la difficulté pour l'Islam de faire coïncider Justice et Toute-puissance de Dieu. Car le Coran annonce le jugement dernier à venir en même temps qu'il nie toute liberté à l'homme d'agir contre la volonté divine. Alors? Alors, la réponse est le kasb, dont voici une définition: "Ce qui dans son acte appartient à l'homme n'est qu'une acquisition (kasb) par quoi l'acte lui est légalement attribué (et imputable), sans qu'il en soit le créateur... Pour le mal comme pour le bien, tout vient de Dieu. Il assiste ceux qu'Il veut diriger dans la voie droite en créant en eux le pouvoir d'obéir. En ceux qu'Il abandonne, dont Il entend sceller le cœur, Il crée le pouvoir de désobéir" (L. Gardet, Dieu et la destinée humaine, -1967-). Ainsi Dieu n'a pas créé la désobéissance par les actes eux-mêmes, mais un pouvoir, placé en l'homme, de désobéir, qui conduit à de tels actes. L'intention appartient toujours à Dieu, mais l'acte incombe à l'homme. Ce qui revient à dire que la justice de Dieu s'exercera, au jour du jugement dernier, pour juger les conséquences, quant à elles directement imputables à l'homme, de ce pouvoir de désobéir. Il en va de même pour la récompense des mérites, ceux-ci revenant aux hommes par le pouvoir que Dieu leur aura conféré d'obéir à Sa loi. Mais il faut encore ici préciser que le kasb est une théorie de la théologie dite kalâm. Or le Kalâm, tout comme la philosophie hellénisante (al-falsafa), tout comme aussi l'expérience mystique (al-tasawwuf), est considéré comme une discipline imparfaite et suspecte aux yeux de l'orthodoxie musulmane. La difficulté de concilier Justice et Toute-puissance de Dieu demeure donc entière. Quoique, du reste, Dieu fait ce qu'Il veut après tout, selon les propres termes du Coran!

Voir l'article Kalâm.