Révélation

"La religion naturelle est pour l'homme un devoir autant qu'un besoin. Autre question maintenant: la religion naturelle suffit-elle? Certainement oui, s'il

n'existe entre Dieu et la créature que les rapports qui découlent de la création. Non, au contraire, si Dieu a établi un nouvel ordre des choses, s'il lui a plu, par un don parfaitement gratuit, d'appeler l'homme à une vie supérieure, à une vie surnaturelle entraînant la connaissance d'autres vérités et d'autres devoirs. Mais il est clair, d'autre part, que, si cette hypothèse s'est réalisée, les hommes n'ont pu l'apprendre que par une révélation divine" (Abbé Boulenger, Manuel d'Apologétique, -1923-).

Pour les musulmans: la révélation divine est contenue dans le Coran, dont le texte a été donné sous la forme d'une dictée par Dieu à Mahomet. Durant une retraite dans la solitude, au mois de Ramadân de l'année 612, en la caverne du mont Hirâ', depuis appelé mont de la Lumière, dans les environs de la Mecque, Mahomet reçut pour la première fois la divulgation d'une sourate (Al-'alaq ou "le caillot de sang"). Il lui fut répété à plusieurs reprises: "récite" (iqrâ). A partir de ce moment, les révélations s'enchaînent, et groupées par la suite, elles constituent désormais le Coran (Qorân ou "récitation"). "Le mois de Ramadân est celui au cours duquel le Coran fut révélé pour servir de bonne direction aux hommes, d'explication claire aux préceptes divins, de critère à la vérité et à l'erreur" (S2,185).

Pour les chrétiens: la révélation est contenue dans l'Ancien et le Nouveau Testaments, au sein des livres desquels Dieu donne à connaître Son mystère. Les rédacteurs des Ecritures Saintes sont nombreux et couvrent une période de temps vaste. Ils ont cependant en commun une même source d'inspiration, l'Esprit Saint. Malgré une grande diversité, les différents livres des Ecritures sont inséparables les uns des autres, car ils se communiquent des réponses et s'illustrent réciproquement.

Historicité de la révélation: il s'agit ici de savoir dans quelle vision du déroulement de l'histoire humaine les révélations chrétienne et musulmane se placent. Quel sens de l'histoire sous tend la révélation coranique? Pour l'Islam, la révélation est reçue d'un seul tenant et, au cours des différents âges de l'humanité, son contenu fut toujours le même et fut toujours donné dans son intégralité. Le message divin, qu'il fût transmis à Adam, à Abraham, à Moïse, à Jésus ou à Mahomet n'a jamais varié. Seule la malhonnêteté des hommes en a fait dévier le sens et corrompu la réception au cours du temps. C'est pourquoi Mahomet a ce statut particulier: il est le "Sceau des Prophètes", celui par qui, une fois pour toute, la Loi d'Allah doit s'imposer de manière irrévocable (voir articles Ecritures et Universalisme). Il n'y a donc pas en Islam de notion de progrès de l'humanité dans sa marche vers Dieu, mais une continuelle reprise en main des hommes sous le rapport unique d'une unique révélation.

A l'inverse, pour les chrétiens, la révélation est progressive; elle prépare les hommes à en recevoir davantage d'âge en âge la lumière. Ainsi les révélations faites dans l'Ancien Testament préparent-elles à celles faites par le Christ dans le Nouveau Testament, qui lui-même ouvre sur le règne de l'Esprit Saint: "Le Paraclet, l'Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit" (Jean 14.26). Pour chaque époque à venir, avec l'Esprit Saint, les baptisés participent à la révélation des mystères de Dieu. Dans la foi au Christ et la réception du don de Son Esprit Saint, la révélation est continue en chaque âme chrétienne et, par l'exemple et le rayonnement, proposée à tout contemporain.

L'influence scripturaire: l'Islam affirme que Mahomet, lorsqu'il a reçu la révélation du Coran, ne savait ni lire ni écrire. De plus, il n'avait pas eu connaissance des Ecritures alors en usage chez les juifs et les chrétiens. Il était donc vierge de toute connaissance monothéiste, ce qui prouve le caractère miraculeux du message qu'il récite autour de lui. "Avant le Coran tu ne pouvais lire aucun livre, ni tracer une ligne de ta dextre, car alors les négateurs auraient été pris de soupçon" (S29,48). Et: "Nous savons bien qu'ils disent: "c'est un homme qui l'enseigne". Or la langue de celui qu'il suspecte d'être ton inspirateur est une langue barbare, tandis que le Coran est en langue arabe claire" (S16,103). C'est donc bien un étranger, juif ou chrétien, qui est ici soupçonné d'avoir pu enseigné à Mahomet son message. Or, il s'avère, d'un point de vu historique, que Mahomet avait eu l'occasion, au cours de ses voyages commerciaux, de rencontrer juifs et chrétiens, et même plus simplement, dans les villes d'Arabie même, où d'importantes communautés juives étaient installées et où passaient de nombreux voyageurs chrétiens. De plus, il y a tellement de références aux noms et aux histoires bibliques dans le Coran qu'il est impossible, pour un chrétien, de ne pas y voir un pillage scripturaire. "La connaissance de la Bible par le Prophète de l'Islam ne fait pas de doute. Médine était une ville à forte implantation juive et Mahomet ne pouvait pas ignorer les livres saints de cette population au milieu de laquelle il était venu vivre après avoir émigré de la Mecque. On raconte même qu'un cousin de sa femme Khadîja, du nom de Waraqa, aurait traduit en arabe les principales péricopes évangéliques. La population de Najrân était en majorité chrétienne au VII° siècle, et comme les habitants de cette région fréquentaient les foires du Hijâz, Mahomet aurait eu l'occasion d'entendre les homélies de leur évêque Quss b. Sadiya. Enfin, au cours de ses déplacements avec les caravanes de marchands, les occasions ne lui ont pas manqué de rencontrer d'autres chrétiens, nestoriens et monophysites, ou encore syncrétistes du désert. L'accusation de plagiat (de la Bible) n'est pas nouvelle puisque le Coran nous la rapporte déjà (voir S16,103 citée plus haut)" (Le Coz, Ecrits sur l'Islam, --1992-). L'Islam a donc pris les devants pour faire face à cette accusation, et l'on sait comment les musulmans gèrent tout à leur avantage cette apparente ressemblance des textes bibliques et coraniques (voir article Ecritures). Il n'en demeure pas moins exact que l'Arabie pré-islamique était loin d'être un désert spirituel lors de l'apparition de Mahomet et que le monothéisme y était largement représenté par des royaumes se reconnaissant du judaïsme et du christianisme, tel le royaume juif de Himyar, ou les colonies éthiopiennes du Yémen. "Dans l'Arabie heureuse des Anciens, se déroule, au VI° siècle, un épisode tragique: le martyre de chrétiens ordonné par le roi juif de Himyar. L'événement connaît un large retentissement auprès des contemporains. Il révèle que, un siècle avant Mahomet, l'Arabie n'est pas un désert mais une terre déjà largement pénétrée par les grandes religions monothéistes" (Joëlle Beaucamp, Françoise Briquel-Chatonnet et Christian Robin, historiens et chercheurs au CNRS, article paru en février 1997 dans le n°207 du magazine L'Histoire).