Sainte ViergePour les musulmans: d'après le Coran, Marie est la Mère de Jésus, enfant qu'elle a reçu, vierge, directement de la puissance de Dieu. "Nous soufflâmes sur elle Notre Esprit", explique Allah (Sourate 21,91). Nul homme n'est intervenu charnellement dans la naissance de Jésus; naissance qui procède d'une intervention directe d'éternité (le "Kun"). Toutefois, si la mère et l'enfant sont de la sorte tout à fait purs, ils n'en sont pas moins des mortels.
Pour les chrétiens: Marie, toujours vierge, est la mère du Verbe incarné; elle est la Théotokos, la "Mère de Dieu". Sa maternité virginale témoigne, tout à la fois, de l'incarnation de Dieu en elle et de la divinité de l'enfant Jésus, car le Christ est à la fois Dieu et homme. La naissance virginale de Jésus est donc pour les chrétiens un signe manifeste de sa divinité.
Points d'achoppement: on retrouve, ici, entre chrétiens et musulmans, la même limite que celle établie pour Jésus. L'immaculée conception de Marie et la naissance virginale de Jésus sont reconnues par le Coran, mais elles ne sauraient dans ce cas prêter à confusion sur la nature de Jésus: pour l'Islam, quoique Dieu ait mis en lui sa bénédiction, il demeure un homme, et seulement un homme. Jésus est soumis à Allah, tout comme le fut Marie. Dans le Coran, Marie n'a pas à faire de choix, elle est soumise d'office à la volonté souveraine d'Allah. Tout différemment, dans l'Evangile de Saint Luc (Luc 1.26-38), le "Fiat" de Marie, c'est-à-dire son libre consentement, est irremplaçable: il rachète la désobéissance d'Eve et ouvre la voix du salut à l'humanité en donnant le Christ Jésus au monde. Pour les musulmans, le "Fiat" de Marie n'a aucun sens, car il n'y a, dans l'Islam, ni péché originel ni libre arbitre de la créature face à Dieu. On mesurera, dès lors, combien l'Immaculée Conception se trouve dans les deux religions sans autre correspondance qu'une vague notion de pureté, au-delà de laquelle tout se révèle être en opposition.
Pourquoi donc le Coran insiste-t-il sur la naissance virginale de Jésus?: nous avons vu que ce n'était certainement pas pour souligner la divinité du Christ, ce contre quoi les musulmans cherchent à tout prix à se défendre. De fait, cette insistance du Coran au sujet de la maternité virginale de Marie, qui chez les chrétiens a si bon écho, - à tel point que ces derniers imaginent un peu vite que les musulmans seraient des chrétiens qui s'ignorent - , a pour raison un différend, non pas sur la nature de Jésus, mais sur la question de l'élection du peuple de Dieu. Si les chrétiens se sentent à l'aise en parcourant ces versets du Coran, c'est parce que ces versets ne les visent pas eux, mais bien plutôt les juifs. En effet, en prouvant qu'un béni de Dieu, qu'un Prophète de surcroît, Jésus, est né, non pas de la chair mais de la puissance même de Dieu, le Coran apporte la preuve que l'élection du peuple de Dieu n'appartient pas aux seuls juifs dépositaires de la promesse faite à Abraham, mais qu'elle est offerte à tous les hommes qui se soumettent. Nous touchons, ici, à l'antisémitisme du Coran tout comme à celui des juifs qui font des descendants d'Ismaël, c'est-à-dire des Arabes, des gens exclus de la promesse. Pour les rabbins, seul Isaac hérite d'Abraham la bénédiction de Dieu, et à sa suite le peuple juif en personne et uniquement. C'est à cet antisémitisme anti-ismaëlien que le Coran oppose un autre antisémitisme visant la descendance d'Isaac. Sur la question de l'appartenance au peuple de Dieu, l'Islam dénonce, en effet, par la conception virginale de Marie, l'appropriation charnelle par Israël du titre de peuple élu. Car si un homme venu de Dieu ne le fut pas selon la chair d'Isaac, c'est bien là la preuve que l'élection n'est pas enfermée dans la transmission de la race juive. Ce qui est donc en jeu dans le Coran au sujet de l'immaculée Conception, c'est "l'encastrement du dessein de Dieu dans la lignée exclusivement charnelle d'Isaac, au détriment non seulement des autres descendants d'Abraham, mais de tous les hommes au mépris des adeptes de la foi d'Abraham. Il s'agit en fin de compte d'une telle assimilation de la race juive au dessein de Dieu, que l'attitude religieuse qui en résulte confine, selon le Coran, à l'idolâtrie... Aussi est-ce à l'égard de cette "carnalisation" extrême du dessein de Dieu sur son peuple que le Coran brandit le signe vengeur de la conception virginale de Jésus" (Youakim Moubarac, l'Islam, in Bilan de la théologie au XX° siècle, T1,-1969-).
A ce titre, lire l'article sur Abraham, dont descendent, par Ismaël et Isaac, les Arabes et les Juifs.