Phaïstom le Pathétique

 

Le lendemain de cette incroyable journée, qui avait vu la chute des Scornafiocres et de leur champion, le Roi des Fiefs, un beau soleil se leva sur les Marches du Nord. Le cycle indécis de M'Rak était fini. Selon le calendrier d'Aquebanne, Phaïstom le Pathétique prenait sa relève dans la course du ciel. Un nouveau temps s'ouvrait, plus calme, plus lent, où l'abattement comme le repos répondraient au tumultes des jours précédents. Phaïstom inaugurait une période de remise à jour, de retour à la normale. Empreint d'une torpeur où perçait timidement une joie encore discrète, le cycle de Phaïstom symbolisait parfaitement le calme après la tempête.

En ce premier jour de Phaïstom le Pathétique, à Kalinda, le vacarme des combats nocturnes s'était enfin tu. Les Natifs des Fiefs avaient finalement été vaincus. Des cadavres jonchaient les rues, tandis que des bâtisses, presque entièrement consumées, finissaient de fumer. De longs filets de fumée sombre montaient dans le ciel gris clair.

Au levé du jour, le Vicomte d'Umbrow arriva en ville. Il se présenta à la porte nord de Kalinda. Ceux d'Aquebanne n'ayant plus de chef, il prit leur commandement. Sans perdre de temps, il regroupa parmi les survivants une troupe.

Cette troupe, à la tête de laquelle se tenait le Vicomte d'Umbrow, sortit de Kalinda par la barbacane sud. Les combattants prirent la direction de la forêt de Pimprenelle. La petite armée remonta le long du Chemin des fougères et, en fin de matinée, elle déboucha sur le champ de bataille du Pont de l'Impénitence, que des terribles combats avaient ensanglanté la veille.

A la vue de l'étendard d'argent semé d'étoiles d'azur du Vicomte d'Umbrow, Gwirzz le Rouge comprit que les Natifs demeurés à Kalinda avait été vaincus, aussi, l'abattement le gagnant, ordonna-t-il à ses soldats de refranchir le Pont de l'impénitence en direction du nord.

Refusant le combat, moralement et physiquement éprouvés par une nuit de grand froid sous les murs du château des Braques et par la triste révélation de la mort de leurs frères d'arme restés à Kalinda, les Natifs des Fiefs regagnèrent leur pays. Ils laissaient derrière eux leurs morts sans sépulture pour s'enfoncer et disparaître dans les brumes glacées de la Steppe aux Iris.

Sagement, ayant médité les lourdes conséquences de la Conquête Royale, le Vicomte d'Umbrow n'ordonna pas la poursuite de l'ennemi au delà de la frontière. Il se contenta de faire garnir de sentinelles les remparts gardant le pont.

Au château des Braques, on salua le départ des Natifs des Fiefs avec une joie encore mêlée aux douleurs des blessures reçues lors des combats. Une chose était maintenant certaine: la guerre se terminait là. Ce fut pour tous un grand soulagement de voir le spectre de la guerre s'éloigner.

Quelques semaines plus tard, le Vicomte d'Umbrow se présentait à Chrost devant le Roi d'Aquebanne. L'ancien noble rebelle reconnut sincèrement et douloureusement ses lourdes fautes. Il implora la miséricorde du monarque. Le Roi Sijaron III lui accorda son pardon. Le Vicomte accueillit aussitôt cette grâce dans les larmes. La blessure de sa trahison le brûlait encore, mais une joie diffuse en soulageait généreusement la douleur. Le Roi releva son vassal et lui confia d'être dorénavant un homme exemplaire par sa fidélité.

Le Chevalier Bélaor d'Armebrave s'avança aussi devant le Roi pour rendre compte de la prise de Kalinda. Sijaron III lui épargna toute humiliation et le restitua dans sa fonction de Prévôt, fonction dont le roi le priât de l'excuser de l'en avoir peu judicieusement détourné. Car le Chevalier était un excellent Prévôt. Le Roi prit donc à son compte l'échec du Chevalier en tant que Gardien des Marches du Nord, s'accusant lui-même d'incompétence pour l'avoir nommé à ce poste militaire qui ne répondait pas aux qualités de son noble serviteur.

Dès que lui fut à nouveau remis sa charge de Prévôt, le Chevalier prit la route du Pays de Kadar. Là-bas, il avait à arrêter un criminel. Voilà déjà quinze ans que cette affaire traînait, et le Chevalier s'était fait un point d'honneur d'y mettre un point final. Il s'en allait donc arrêter, pour le meurtre d'un vieil apothicaire, un ancien membre de la Garde d'Honneur répondant au nom d'Hairbald le Chauve.

Car nul n'échappe à le justice...

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