IV- Qu'est-ce qu'un biface ?

Pour répondre le plus correctement possible à cette question, il faut avoir présent à l'esprit le fait que le biface est l'un des plus anciens outils de l'humanité; il offre un témoignage exceptionnel de la culture matérielle des premiers hommes, à ce point qu'il caractérise, par sa prédominance et par sa large diffusion, toute une période s'échelonnant sur plus de 300 000 ans: l’Acheuléen. Cependant, les origines de l'objet lui-même semblent remonter plus loin encore dans le temps et se confondre avec celles des premiers tâtonnements de la main de l'homme avec la matière brute.

L'étude portera ensuite sur les différents aspects morphologiques des bifaces; c'est en effet à partir des critères morphologiques de l'objet que découleront naturellement les tentatives de classification de la fin du XIX° siècle jusqu'à nos jours. Il est à noter que des catégories plus nettes d'appréciation de la forme des pièces ont été obtenues dans les années 60 grâce à la typométrie, dans le but "de trouver des critères objectifs, fondés sur des mensurations" (F. Bordes). Dans le chapitre précédent, la méthode typométrique a précisément servi de base à l’échantillonnage des bifaces en obsidienne de Gomboré II.

Malgré cela, et en considération de toutes les améliorations apportées dans l'élaboration des classements typologiques, la question " qu'est-ce qu'un biface? " reste sans réponse satisfaisante si l'on ne peut pas en expliquer le pourquoi, à savoir: " A quoi servaient-ils? ". L'orientation générale de ce chapitre vise donc en effet à présenter en dernière analyse une nouvelle hypothèse d'emploi des bifaces, dans l'espoir de retrouver cette valeur utilitaire qui se cache derrière leurs formes si variées.

1/ Les origines de l'objet.

a- Filiation avec le chopper ou bien apparition indépendante ?

Le chopper (ou galet aménagé) est aujourd'hui reconnu comme le plus ancien vestige que l'homme ait taillé. Il s'agit d'un galet roulé dont on fait sauter la calotte soit en le percutant contre un bloc plus résistant, soit en le projetant tout simplement contre le sol. On obtient alors un ou plusieurs enlèvements sous la forme éclatée d'une brisure qui définit la partie active de l'objet tandis que le reste du galet sert de zone de préhension. Ainsi, le chopper servait-il à couper la viande, à briser les os pour en tirer la moelle, "à écorcer ou appointer une branche pour fabriquer un épieu en bois" (J. Chavaillon). Le galet aménagé apparaît alors être un outil plurifonctionnel de dimension et de poids variables d'après le volume initial du matériau choisi et selon la progression de la partie active sur le reste de la réserve préhensible de cortex.

La trame évolutive de l'objet de pierre taillée permet d'établir une "historicité" de référence entre la contrainte que représente la matière et la volonté plus ou moins ordonnée d'en tirer parti. Ainsi, lorsque l'homme préhistorique retourne un galet aménagé pour procéder à un second enlèvement opposé au premier (chopping-tool), il nous est permis de dire que le tailleur fut alors capable de situer l'objet dans l'espace et donc aussi lui-même. Et si la taille se développe progressivement à toute la périphérie du chopping-tool, suivant un agencement gestuel hiérarchisé (les enlèvements sont chronologiquement distincts les uns des autres puisque obtenus les uns après les autres), ne pourra-t-on pas dire que l'homme fut capable d'ordonner son travail dans le temps et de se penser lui-même dans la durée? L'objet de pierre taillée devient plus intelligible pour nous du fait même que la volonté de l'homme y est sensible. Après être passé par des formes intermédiaires et partielles, appelées protobifaces, on en arrive au biface proprement dit: le schéma de l’extension du modelage du galet aménagé, pour enfin parvenir au biface, a été proposé par F. Bordes et repris par L. Balout, notamment.

Cependant, certains préhistoriens réfutent la filiation entre le biface et le galet aménagé. Mary Leakey argumente dans le sens d'un développement séparé des deux formes d'outillage, et ce en partant de l'idée d'une apparition indépendante des deux formes l'une par rapport à l'autre. L'idée est évidente en ce qui concerne le chopper car c'est le premier outil que nous connaissions, mais elle apparaît discutable en ce qui concerne le biface dont l'héritage morphologique doit bien exister à travers d'autres objets de pierre taillée beaucoup plus anciens. Ces objets nous sont-ils inconnus? Choppers, chopping-tools, protobifaces, ne constituent-ils pas des antécédents valables? Toutefois, le problème, comme nous allons le voir durant tout ce chapitre, repose sur la question de l'usage de l'outil et oriente toute la problématique au sujet de son origine. En effet, l'apparition indépendante de l'objet, détermine-t-elle le fait que ce dernier (le biface) répond à un nouvel usage, ou bien l'usage change-t-il au fur et à mesure que l'objet (galet aménagé) se modifie? Si l'on s'accorde à dire que toute évolution d'emploi implique une évolution technique, en permettant l'acquisition de l'usage à travers un nouveau support, il semble parfaitement logique de penser que l'objet sera morphologiquement neuf. Cependant, et ce en relation avec les remarques faites au chapitre I, la matière reste un piège d'où les formes ne s'échappent qu'en reproduisant le plus souvent les mêmes aspects (il n'y a pas quantité de manière de façonner la pierre et seul compte morphologiquement le nombre d'enlèvements pratiqués).

Pour résumer, l'usage implique une redéfinition morphologique de l'objet, alors que son support impose un mode de façonnage, techniquement peu malléable, répétitif et limité quant aux possibilités d'obtention des enlèvements. Aussi, de par la technique de mise en forme de son support, le biface se rattache-t-il conceptuellement aux objets façonnés plus anciens (chopping-tools). Il faudra en effet attendre les techniques dites de débitage (levallois par exemple) pour que l'objet de pierre ne soit plus enfermé dans un support mais au contraire s'en détache. Les enlèvements ne déterminent non plus seulement la forme de l'objet comme support taillé, mais l'objet lui-même provient d'un enlèvement dont le support taillé détermine la forme (nucléus). Mais arrêtons nous là, car le biface appartient encore à la première catégorie d'objets évoqués (c'est à dire façonnés).

b- Vers une définition morphologique du biface

C'est en 1800, qu'un anglais, John Frère, publia pour la première fois une représentation de biface; objet lithique le plus anciennement identifié, le biface ne reçut son nom définitif qu'en 1920, par A. Vayson de Pradenne: "Le caractère de la taille sur les deux faces est très net et très important au moins au point de vue morphologique. Tous les instruments qui ont en commun ce caractère méritent donc un nom spécial. Celui de biface paraît normal car il est bref, facile et indique bien ce qu'il veut signifier et rien d'autre". Ainsi, le biface reçut-il son nom par identification morphologique alors que son véritable usage demeurait inconnu. A partir de cette Définition morphologique du biface est venu se greffer un nombre varié de formes dont l'énumération pose d'importants problèmes de classements: "Dans son ensemble [le biface] affecte la forme d'une amande. Il est élargi et arrondi en bas; il se rétrécit généralement à partir du tiers inférieur, en allant vers le sommet, qui se termine en forme de pointe; [...]. C'est la forme habituelle, mais les variations dans tous les sens sont nombreuses.[...] Tous les degrés existent entre les diverses modifications de formes [...] " (G. de Mortillet). Alors, où et quand s'arrête et commence un type de biface par rapport à un autre? C'est ici qu'interviennent les classements par formes; un vocabulaire d'ordre typologique se constitue peu à peu et les mots suivants apparaissent: "Langue de chat" (Boucher de Perthe) - la forme du biface est alors rapprochée de celles des truelles utilisées lors des fouilles, et ce bien que l'identification de son usage n'en soit pas fournie - "amande", "limande" et "ficron" (V. Commont) - l'appellation de ce dernier provient du nom donné par les ouvriers picards à certains bifaces leur rappelant la pointe en fer fixée au bout d'une perche qu'on appuie au fond de l'eau pour faire avancer une embarcation. Là non plus, l'usage n'entre pas en jeu dans le choix du terme - "ovalaire", "subtriangulaire" et "lancéolé" (L. Bourgeois), "discoïde" (G. de Mortillet), "pyriforme" - en forme de poire - (J. Garnier), etc.

Le vocabulaire désignant les bifaces est essentiellement d'ordre morphologique et les mots choisis et employés visent à redonner sous un nom formellement parlant, les différents types de bifaces au fur et à mesure qu'ils s'en présentent de nouveaux. Mais les définitions tendent à se recouper faute d'homogénéité: pour ce qui est de leurs principales données morphologiques, certaines catégories sont pour le moins partagées par plusieurs types à la fois (la distinction entre amygdaloïde et cordiforme, de même que celle qui séparerait limande d'ovalaire restent ténues). De plus, de nombreuses formes présentant des variantes originales (flexueux par exemple) sont désignées par des noms qui ne font que préciser des points particuliers mais qui les font échapper de façon plus générale au rangement parmi les grandes catégories. Enfin, l'étude typométrique est loin d'avoir résolu tous les problèmes si l'on considère qu'il faut à chaque fois utiliser la méthode se rapportant le plus précisément possible à la région d'où sont issus les bifaces à étudier. Tous les contextes n'ayant pas été morphologiquement répertoriés, de nombreuses séries de bifaces ne possèdent toujours pas de méthode adaptée de mensuration et d'appréciation des valeurs numériques de leurs formes spécifiques.

La classification des bifaces "présente plus de difficultés que celle des outils sur éclats, peut-être par ce que nous ignorons presque complètement leur utilisation [...]" (F. Bordes). Par trop morphologique, la définition d'un objet finit par l'éloigner de son véritable contexte d'origine: à savoir ce que l'homme en attendait alors (certainement pas qu'on en ferait l'élément d'une savante classification; de cela au moins, on peut-être sûr!).

2/ Valeur utilitaire des bifaces

a- Les problèmes d'ordre morphologique

+ L'absence de zone de préhension:

A partir de la simple observation d'un biface, on en arrive à cette fâcheuse constatation: Il n'y a pas sur ces pièces de zone de préhension possible! Etant donné que l'objet est taillé sur la surface des deux faces qui le constituent et que leur périphérie l'est également de manière tranchante, on peut raisonnablement se demander comment l'outil était manipulé pour être efficace sans blesser son utilisateur? Si l'on considère que l'utilisateur applique ses doigts sur les négatifs d'enlèvement en évitant de se couper au contact des nervures, il n'en demeure pas moins évident qu'il lui faudra aussi ne pas appuyer sa paume contre le bord , qui est tranchant. Cette manipulation paraît plutôt invraisemblable car elle implique un maintien malaisé de l'objet. En effet, le biface est alors tenu à la seule force du bout des doigts, ce qui réclame un effort inconfortable et donc difficilement prolongeable.

+ L'identification des parties actives:

De plus, à travers ce schéma d'application manuelle de l'objet, se pose un autre problème: celui de l'identification des parties actives. Tout d'abord, un seul tranchant est utilisé alors que celui de l'autre bord, caché au creux de la main de l'utilisateur, sans s'y appliquer, ne sert à rien. Pourquoi donc avoir Dégagé deux tranchants pour n'en n'utiliser qu'un seul? On pourrait imaginer que les tranchants étaient utilisés l'un après l'autre, l'un prenant le relais de l'autre une fois usé. Cependant, comme nous venons de le voir, la résistance qu'oppose le matériau à couper, implique une résistance plus forte de l'objet en position tranchante, ce qui est impossible si l'on considère que le biface est maintenu au bout des doigts sans aucun autre appui possible de la main.

Toutes les parties du biface sont donc actives, ce qui répond logiquement au fait précédent selon lequel l'objet ne présente pas de zone de préhension. La question de son utilisation n'en demeure pas moins sans réponse, bien que nous puissions déjà dire que le biface n'est pas un instrument à main et que l'appellation de "coup de poing" donnée par G. de Mortillet est parfaitement impropre pour désigner cet objet.

b- Le biface outil plurifonctionnel?

Selon F. Bordes, les bifaces "sont des outils à usage multiple, chaque partie ayant son utilisation propre". Le biface est alors conçu comme un outil plurifonctionnel, chacun de ses aspects morphologiques répondant à un usage particulier:

---> avec sa pointe, le biface pourrait avoir servi de perçoir.[2]
---> au regard de ses tranchants, il ferait également fonction de racloir (couteau).[1]
---> tandis que la base se présenterait sous la forme d'un grattoir.[3]

Les bifaces sont donc ainsi "des ustensiles destinés à tailler [1], à percer [2] et à contondre [3] " comme l'indique J. Garnier en 1862. G. de Mortillet, en donne la même définition pratique, bien que chaque valeur utilitaire corresponde à un type précis et caractéristique au sein de "la famille des bifaces": "L'un est destiné à travailler par la pointe [2], qui quelquefois s'allonge notablement [...] un second type [3] devait aussi servir par une extrémité mais celle-ci est rectiligne et constitue une sorte de véritable tranchant. Sur un troisième type [1] la partie utilisable était latérale [...] ". Cependant, l'idée d'un potentiel plurifonctionnel du biface n'est valable que si l'objet, en tant qu'exemplaire, comporte tous les aspects morphologiques à la fois, sans quoi nous n'avons plus à faire à un groupe d'objets homogènes mais à une multitude d'objets indépendants les uns des autres du point de vue de leur valeur utilitaire; suivant cette dernière hypothèse, le terme de biface devrait être remplacé selon les cas par les mots: grattoirs, racloirs, perçoirs, couteaux, tranchoirs, etc. Pour ce qui est du caractère plurifonctionnel de l'objet regroupant en lui-même toutes les facettes utilitaires citées, cela rentre en contradiction avec ce qui a été pressenti lors de l'étude des problèmes d'ordre morphologique (cf.2a).

De plus, si l'on estime que la stabilité des formes est acquise à l’Acheuléen, il convient de reconnaître que cette standardisation ne correspond plus à un usage plurifonctionnel de l'objet; en effet, la dimension formelle de l'objet dépend dans son amélioration, non seulement de la qualité de son exécution mais aussi de l'efficacité de son usage. Or, une forme ne saurait-être reproduite sans qu'un modèle en conditionne la production. Ce modèle n'est pas ambivalent et la fonction qu'il établit pour l'objet demeure invariable. Il y a donc standardisation de la forme des bifaces en relation avec une fonction qui lui est effectivement liée. Aussi, l'idée d'une panoplie plurifonctionnelle des bifaces va-t-elle à l'encontre de toute modélisation de l'objet.

Si l'on veut voir la définition du biface progresser, il s'agit, de deux choses l'une, soit d'en fragmenter la valeur autour de chaque type, soit au contraire, d'établir une relation commune à tous les types autour d'un usage universel. Déjà, du point de vue géographique et chronologique, l'emploi du biface nous apparaît universel. Il semble à partir de là évident qu'il réponde à une découverte fonctionnelle particulièrement efficace.

c- Le biface comme projectile

Le biface - ayant tout de même une silhouette suffisamment caractéristique pour être isolée d'autres formes lithiques - ne peut répondre à un ou plusieurs usages qu'il partagerait avec d'autres objets morphologiquement différents. Un objet, même d'allure frustre, tels que certains bifaces, peut aussi bien répondre à un usage unique, particulièrement avantageux et sans concurrence, car sans équivalent: le biface serait donc, selon toute vraisemblance, un projectile.

Le fait que l'obsidienne ait été la matière la plus souvent choisie dans la culture de Gomboré II pour la fabrication des bifaces, ne nous étonnera pas: le caractère tout à la fois extrêmement tranchant et de manière peu pratique, très fragile de cette roche vitreuse, nous laisse à penser que les bifaces qui en dérivaient, étaient utilitairement beaucoup plus précieux que de simples outils d'emploi limité dont on pouvait faire qu'un usage momentané. Parmi ceux-ci, ils faut citer "de très nombreux petits éclats, non plus seulement utilisés à l'état brut mais qui ont subi, après le détachement de leur nucléus, des aménagements ou retouches, leur attribuant des fonctions bien spécialisées telles que gratter, racler, couper ..." (J. Chavaillon). Toute cette panoplie d'éclats résultants du façonnage de pièces assez volumineuses pour les produire, joue dans la culture matérielle de Gomboré II le rôle plurifonctionnel auparavant présumé pour les bifaces.

Le biface implique un tout autre usage: en tant que projectile, sa fragilité est proportionnellement liée à ses qualités perforantes. On comprend ici l'importance que peut revêtir l'aménagement du tranchant des arêtes dans le cadre du développement des performances du projectile. L'évolution des bifaces tout au long de l’Acheuléen pourrait ainsi être expliqué en terme de données balistiques (efficacité des impacts / vitesse du mouvement dans l'air / qualité de la décoche / etc.).

Le dispositif permettant de lancer les bifaces pourrait être le suivant: Un propulseur (bâton en bois d'acacia *), tenu en main à l'une de ses extrémités, présente, à l'autre bout, une encoche munie à l'arrière d'une butée où vient reposer à la verticale le biface. Le biface se dispose pointe vers l'arrière; la décoche du projectile s'effectue lorsque celui-ci se redresse et se met à tourner sur lui même en prenant la direction tangente au mouvement circulaire imprimé au propulseur par son utilisateur. Le projectile part alors en suivant une trajectoire rectiligne et perpendiculaire par rapport à la station verticale dans laquelle se trouve l'utilisateur. Ici, contrairement au principe de la catapulte, le mouvement ne doit pas obligatoirement être arrêté pour que la décoche se produise. L'utilisateur peut ainsi accompagner son geste jusqu'au bout et lui donner toute l'amplitude désirée. La force avec laquelle le biface est propulsé n'en est que plus grande et l'efficacité de la visée s'en voit par là-même accrue (le mouvement n'a plus besoin d'être stoppé net de façon intempestive mais la décoche s'opère toujours au moment opportun - c.à.d. à la perpendiculaire de la cible).

Les problèmes que pose ce système ne sont pas modélisables du point de vue du strict domaine de la physique mécanique. Aussi, seul l'expérimentation de ce dispositif, combinant bifaces et propulseurs, pourrait apporter la preuve concrète de son bon fonctionnement. Il vaut cependant la peine de dire dès à présent combien il est remarquable que le projectile ne parte pas vers l'arrière mais qu'il prenne son envol en avant. Cette constatation est édifiante si l'on songe aux possibilités de recherches expérimentales qu'elle ouvre au niveau de la balistique des formes lithiques bifaciales.

Le biface apparaît donc avoir été un redoutable projectile dont l'utilisation devait parfaitement répondre aux besoins de la chasse d'alors.

* L'acacia est l'arbre le plus répandu dans la région de Melka Kunturé durant la période étudiée.

d- La redécouverte de l'usage du biface

Comme cela a déjà été dit, sur un biface, étant donné qu'il n'y a pas de zone de préhension, on est obligé d'en conclure que toutes les parties de la pièce sont actives.

Une solution revenait à faire du biface un projectile. Un projectile, en effet, est en totalité une pièce active. Prenons l'exemple d'une pointe de flèche à pédoncule en silex taillé: elle est active par sa pointe, par ses tranchants, par la taille de sa surface et par son pédoncule qui sert à l'emmanchement.

Cependant, contrairement à ce qui a été proposé précédemment, le biface pourrait ne pas être un projectile. Son véritable usage correspondrait à ce que les archéologues américanistes connaissent sous le nom de "macahuitl", le fameux casse-tête aztèque. Le macahuitl est un gourdin muni de lames en silex taillé fichées dans le bois. La partie supérieure du gourdin est hérissée de lames tandis que la partie inférieure, "non-armée", sert de zone de préhension.

Par ailleurs, il existe des documentaires ethnographiques filmés de populations indigènes de Nouvelle-Guinée par exemple, où l'on peut découvrir des Papous (de notre siècle) utilisant des bifaces!

Le biface est encore utilisé aujourd'hui, et ce à l'insu des plus éminents préhistoriens toujours ignorants de son véritable usage. Comment donc se présente un biface "utilitairement fonctionnel"?

La partie distale du biface (sa pointe) sert à enfoncer la pièce en pierre taillée dans un morceau de bois de la forme d'un gourdin (simple branche coupée, assez large pour contenir une partie de la pièce de pierre taillée à incruster). La partie distale facilite l'emmanchement en même temps qu'elle définie la zone incrustée dans le bois. La partie distale peut parfaitement être considérée comme une partie active car au départ de l'opération d'emmanchement, elle rend possible et facilite l'incrustation du biface dans le bois. Le biface est fiché dans le gourdin, ce qui signifie qu'il ne dépasse pas de l'autre côté du morceau de bois. Autrement, il le ferait éclater. La pointe s'enfonce en suivant les fibres du bois: l'outil se présente donc sous la forme d'une hache. Les parties du biface non-incrustées dans le morceau de bois sont donc directement actives par les tranchants, les surfaces nervurées bifaciales et par la cognée (le talon du biface selon la terminologie classique). Comme dans l'exemple précédemment cité de la flèche pédonculée en silex taillé, toute les parties du biface sont actives.

On peut également supposer que le biface, outre son aspect de hache, existait sous la forme d'herminettes (les faces du biface se présentant perpendiculairement par rapport à l'axe du morceau de bois). Le biface "twist" (ou flexueux) se comprendrait ainsi: emmanché parallèlement au gourdin en suivant le sens des fibres du bois dans sa partie supérieure (distale), sa partie inférieure (talon), se trouvant dans un axe d'orientation différent (pièce déjetée), se présenterait, quant à elle, perpendiculairement au gourdin. On aurait alors une herminette (ce qui correspond à nos actuelles binettes).

Le biface est un outil d'usage extrêmement simple et efficace. Sa répartition culturelle et chronologique très étendue trouve ici une réponse simple et satisfaisante.

Le biface est l'un des plus anciens outils de l'humanité; il offre un témoignage exceptionnel de la culture matérielle humaine.

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