I- Les données physiques et anthropiques de la mise en forme de la matière première

1- De la matière première à l'objet de pierre taillée

a- Explication du choix de l'obsidienne par les hommes préhistoriques

La plupart des roches et des minéraux se divisent d'une manière irrégulière, appelée cassure quelconque et sont donc impropres à la taille. Tout autrement sont les enlèvements obtenus avec l'obsidienne par cassure conchoïdale (c.à.d. en forme de coquille): en effet, ce type de cassure est favorable à une exploitation anthropique de la roche. La maîtrise du geste de la taille permet alors d'obtenir, à partir d'un point d'impact précis, l'étendue et la forme recherchée que laisse l'éclat lors de sa rupture du reste du bloc; la roche se façonne et devient donc un objet de pierre taillée.

Les caractéristiques de l'obsidienne répondent particulièrement bien aux besoins des techniques de façonnage bifacial; la roche se taille facilement avec pour possibilité d'opérer de minutieuses retouches, dont le but est de dégager un tranchant. Le traitement de certains bifaces en obsidienne de Gomboré II pourrait trompeusement être attribué à un stade technique beaucoup plus évolué que celui de l’Acheuléen moyen, si l'on ne prenait pas en compte les potentialités offertes par la matière première elle-même. Cependant, si le choix de l'obsidienne relève dans un premier temps de l'empirisme, c'est à dire d'une expérimentation par l'homme de la matière en tant que matrice, propice ou non à la taille, dans un deuxième temps, ses propriétés ayant été observées et maîtrisées, c'est en fin de compte la question de son emploi (de sa transformation en outil) qui détermine la finalité du choix préalable de la matière première.

b- Valeur anthropique de l'objet de pierre taillée

Pour reconnaître un objet de pierre taillée d'un simple bloc de matière concassée, il apparaît nécessaire de pouvoir distinguer l'origine naturelle de l'origine humaine d'un enlèvement. La réponse semble claire aux yeux du spécialiste exercé à l'identification des formes lithiques, conçues et produites par l'homme. En reconstituant d'une part la technique de conception de l'objet à travers les différentes phases de son débitage (technologie) et d'autre part en le répertoriant par rapport aux diverses formes déjà mises à jour (typologie), le préhistorien se donne les moyens d'apprécier le caractère plus ou moins ouvragé et évolué de telle ou telle pièce. Cependant, malgré cela, la distinction de l'origine d'un enlèvement se confond toujours avec la nature de la roche elle-même; la roche, même lorsqu'elle est taillée, demeure un support naturel dont les formes répondent aux données de l'organisation atomique de la matière qui la constitue. Le préhistorien n'est il pour cette raison qu'un géologue, qu'un technicien de la lecture morphologique de l'objet? Certes non, car il s'agit surtout pour lui, de déchiffrer la part d'intelligence fossilisée dans la roche à travers les gestes du tailleur. Mais à quoi au juste se rapporte cette "part d'intelligence", car enfin l'objet n'était pas produit pour lui-même? Elle se rapporte à l'usage recherché à travers l'objet et à l'adéquation plus ou moins ajustée de son emploi par rapport au support matériel envisagé en vue de sa transformation en outil. Le résultat obtenu apparaît alors plus ou moins réducteur de la valeur pratique, recherchée lors de l'élaboration de l'outil. Evidemment, on n'obtient pas du premier coup un biface triangulaire magnifiquement retouché! Les bifaces abbevilliens sont là pour en témoigner. Cependant, une fois l'idée acquise, on n'arrête plus le progrès... Seulement, du point de vue du travail du préhistorien, c'est l'"idée" qui sous-tend à la réalisation du biface qui devrait être restituée.

Dans le cadre du chapitre IV, le problème de la valeur utilitaire des bifaces sera abordé.

2- Définition du processus de la taille.

Les causes envisageables de la rupture d'un enlèvement peuvent être de deux sortes: la rupture peut dériver d'une fracture d'ordre naturel par action thermique ou mécanique (cupules thermiques / concassage par charriage...) ou bien, elle peut être le résultat d'une cassure volontaire obtenue par action anthropique (c.à.d. la taille) cependant, dans ce que nous appelons la taille, il faut rapprocher, tout en les distinguant, ce qui relève du vecteur naturel et ce qui procède du facteur intentionnel. Les rapports d'ordre naturel et d'ordre anthropique sont en effet liés et les étapes qui les associent conbinent à la fois la condition et la cause de l'enlèvement. Pour comprendre les différentes étapes associatives dans l'ensemble du processus de la taille, nous proposons la lecture du tableau synoptique ci-dessous intitulé: " Les différentes étapes associatives dans l'ensemble du processus de la taille ".

a- Les causes intelligentes

L'ensemble des causes intelligentes et contingentes traduites par le geste correspond :

- à l'utilisation d'un percuteur plus ou moins lourd, dur ou tendre
- à la force plus ou moins grande, condensée dans la percussion (importance de l'amplitude du mouvement imprimé au percuteur)
- à l'ajustement plus ou moins précis du point d'impact (étendue du contact du percuteur avec la surface de la pièce travaillée / préparation d'un plan de frappe)
- à l'orientation de la pièce au cours de son façonnage, suivant les gestes opératoires du tailleur
- à la répartition des enlèvements les uns par rapport aux autres sur la surface de l'objet de pierre taillée.

En ce qui concerne la taille bifaciale durant l’Acheuléen moyen, le choix du percuteur répond à deux phases distinctes du façonnage de l'objet de pierre taillée: il s'agit d'une part du percuteur dur sous la forme d'un galet afin de dégrossir la pièce travaillée (la forme circulaire, pleine et compacte du galet ne présente pas ou presque pas de surface d’éclatement alors même qu'elle est cause d'enlèvement sur la surface du bloc qu'elle heurte), et d'autre part du percuteur tendre en bois végétal ou animal, pour opérer des retouches sur les bords du biface en vue d'améliorer la qualité de son fil (c.à.d. du tranchant de ses arêtes).

A ce propos, parmi l'ensemble des pièces de la collection de Melka Kunturé Gomboré II, figurent quatre percuteurs durs en basalte; pour ce qui est des percuteurs tendres, et bien qu'il soit certain qu'ils furent employés, aucun d'eux ne nous est parvenu pour des raisons évidentes de conservation.

D'autre part, dans le cadre de la taille bifaciale, le tailleur est assis ou bien accroupi, et, s'il est droitier, il maintient, à l'aide de sa main gauche, le bloc à tailler en le plaquant contre sa cuisse gauche vers l'extérieur, ou bien encore contre l'intérieur de sa cuisse droite, tandis que la main droite manie le percuteur. En principe, l'arête se présente ensuite verticalement par rapport au tailleur qui y porte son coup de haut en bas, l'éclat détaché partant en direction du sol; l'opération est répétée à toute la périphérie de la pièce qui tourne dans sa main et qui est renversée d'une face sur l'autre. Pendant l'opération, une peau épaisse couvre les cuisses du tailleur, de même que des pièces de cuir protègent ses mains.

Cependant, concurremment à la procédure précédemment citée, une autre méthode d'application du façonnage des bifaces a dû être utilisée: la percussion sur enclume.

Certainement plus ancienne et beaucoup plus frustre, la percussion sur enclume permet de stabiliser la pièce, au cours de sa taille, sur un bloc plus dense et donc plus résistant, assujetti au sol. L'enclume absorbe alors pour partie les chocs résultants des coups portés à l'objet lors de sa taille; la limite de cette opération est vite atteinte lorsque un bord, déjà dégagé, doit être retourné contre l'enclume afin qu'un autre lui soit opposé. Cet inconvénient qui verrait la mise en forme de l'arête d'un bord au dépend de l'écrasement de celle de l'autre, laisse à penser que la percussion sur enclume devait être réservée au seul dégrossissement du biface en vue de son façonnage final selon les dispositions indiquées auparavant.

b- La réaction de l'ordre naturel.

Ce sont les forces de Van der Vaals qui assurent la cohésion de la roche par un phénomène d'élasticité des liaisons moléculaires. Sous l'effet de très importantes tensions, la distance intermoléculaire s'accroît au point que les liaisons finissent par se rompre: c'est le phénomène qui se produit lorsqu'une roche subit une percussion suivant le processus de la taille; un éclat est alors libéré tandis que sur le bloc figure le négatif de son enlèvement. Ce négatif d'enlèvement présente ainsi une surface de concavité transversale par rapport à la direction de l'enlèvement. Sur la surface du négatif d'enlèvement, certains stigmates de la rupture de l'éclat sont identifiables; il s'agit :

- d'une part, des lignes de Wallner dont les traces marquent le passage de l'onde choc, propagée à partir du point d'impact; leur répartition est transversale par rapport à la direction de l'enlèvement

- d'autre part, des lancettes de Kherkhof qui résultent de décrochages le long de la propagation du front de fracture; leur dimension est beaucoup plus réduite que celle des lignes de Wallner et leur orientation est parallèle à la direction de l'enlèvement.

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