Tieck, Beardsley, Tannhaüser et le Mont de Vénus

 

Le livre les enlumineurs de cauchemars
existe en format papier

aux éditions Docteur Angélique

au format ebook

chez Hypallage Editions



L’allemand Ludwig Tieck (1773-1853) et l’anglais Aubrey Beardsley (1873-1898) sont nés à un siècle d’écart. Cependant, à deux, et au mépris de toute chronologie, ils ont écrit un seul et même conte : l’histoire du Chevalier Tannhaüser. Non pas que l’anglais eût écrit la suite de l’histoire introduite par l’allemand, mais, plus curieusement encore, qu’il compléta, en son milieu, le conte teutonique auquel manquait la description de son élément central : à savoir les événements qui s’étaient produits sous le Venusberg (la Montagne de Vénus).

Mais reprenons le récit dans l’ordre : Tieck met en scène un certain Tannhaüser (aussi orthographié Tannenhaüser), personnage hanté par la sordide intuition de sa damnation future. Manifestation étrange qu’il confesse un jour à son meilleur ami : " Crois-moi, mon cher, dès sa naissance plus d’un parmi nous reçoit pour compagnon un esprit malin, qui le pourchasse à travers l’existence en le remplissant d’angoisse et ne lui laissant pas de repos jusqu’à ce qu’il soit parvenu à sa sinistre destination. C’est ce qui m’est arrivé, et toute ma vie n’est que perpétuelles douleurs d’enfantement, et c’est en enfer que je m’éveillerai " (Tieck, Phantasus, Der gruete Eckart und der Tannenhaüser -1812). Ici s’impose l’histoire dans son incommensurable horreur : celle de la conviction de l’inéluctable convergence infernale : " Désormais la terre et la vie me semblaient complètement mortes et dévastées, je me traînais d’un jour à l’autre sans pensée ni désir. [...] Une année peut-être s’était écoulée de la sorte, lorsque mon angoisse s’accrut jusqu’au désespoir ; une force me poussait à m’en aller plus loin, à m’enfoncer dans des lointains inconnus ; j’avais envie de me précipiter du haut des montagnes pour me plonger dans les couleurs éclatantes des prairies, dans le frais mugissement des torrents, pour étancher la soif ardente et inextinguible de mon âme ; j’aspirais à l’anéantissement ; puis, comme des nuages dorés du matin, l’espérance et le désir passaient devant moi dans leur vol et m’attiraient à leur suite. L’idée me vint alors que l’enfer avait envie de moi, et que pour me perdre il envoyait à ma rencontre les joies comme les souffrances ; qu’un esprit perfide orientait toutes les forces de mon âme vers la sombre demeure, et me faisait descendre la pente à bride abattue ".

Pour faire taire son tourment, cette espèce de valse vertigineuse de sentiments irréconciliables, à bout de force, Tannhaüser fait appel au Diable. Il lui abandonne son âme contre un lieu où se reposer, où apaiser l’agitation qui a pris possession de son être. Afin de calmer les sommets et les abîmes de ses mouvements d’âme, il scelle définitivement le sort de son existence, abandonnant le combat spirituel en échange d’un lieu sans retour, sans issu : le Venusberg, le légendaire Mont de Vénus. " Pour me débarrasser des tourments qui alternaient avec les extases, je renonçai alors à la lutte. Pendant la plus obscure des nuits, je gravis une haute montagne, et de toutes les forces de mon coeur, j’appelai à moi l’ennemi de Dieu et des hommes, si bien que je sentis qu’il serait contraint de m’obéir. Mes paroles l’attirèrent, je le vis brusquement debout près de moi, et je n’éprouvai pas la moindre terreur. Et alors, dans mon entretien avec lui, je recommençai à croire à cette montagne merveilleuse, et il m’enseigna une chanson qui m’y conduirait d’elle-même par la bonne route ". Et cette merveilleuse montagne, c’est le fameux Venusberg, lieu de l’oubli, de l’oubli de toute dignité humaine.

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