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Isidore Ducasse, plus connu sous son pseudonyme littéraire de Comte de Lautréamont, est, sans égal possible, le plus halluciné parmi les conjurateurs du mal. Il est bien étrange, vous en conviendrez, d’exorciser en blasphémant à tout bout de champ, d’affermir la morale en massacrant des innocents au fil de pages tranchantes comme des rasoirs, de refouler l’enfer en retournant la terre pour soulever le Ciel en riposte, d’alerter en naufrageant des navires et les âmes de leurs équipages, d’élever des autels en consacrant les mathématiques au-delà même de l’œuvre du Grand Architecte de l’univers.
Situation paradoxale, dont le moins que l’on puisse admettre, c’est qu’elle semble admise par l’improbable conjurateur lui-même ; comme Ducasse s’en explique à son éditeur belge :
« J’ai chanté le mal comme ont fait Misçkiéwickz,
Byron, Milton, Southey, A. de Musset, Baudelaire, etc. Naturellement, j’ai
un peu exagéré le diapason pour faire du nouveau dans le sens de cette littérature
sublime qui chante le désespoir pour opprimer le lecteur, et lui faire désirer
le bien comme remède. Ainsi donc, c’est toujours le bien qu’on chante en somme,
seulement par une méthode plus philosophique et moins naïve que l’ancienne
école » (Isidore Ducasse, Lettre à Monsieur Verboeckhoven, en
date du 23 octobre 1869).
Si l’on en croit l’auteur
d’une telle billevesée, - puisque le mal qu’il décrit est vain car il conduit
au bien, en somme – on ne doit pas prendre au pied de la lettre sa fantastique
démonstration incandescente.
Son ultime but serait le
triomphe du bien par l’exemplarité repoussante d’un mal inaccessible !
Prétexte fallacieux ? Jeu de maux ? Couvert aussitôt desservi ?
Grue saugrenue ? Requin ? Poulpe ? Poux ?… Exécrable repentir ?
Orgueil fastidieux ? Posture ou imposture ?
Le livre se dérobe à ses
propres lignes. Le trait frappe toujours plus loin… à côté ! Cible
invincible : forcément, puisque c’est son Créateur qu’il veut exécuter.
Sacré Montévidéen !
« Je le connais, le Tout-Puissant… et lui, aussi, doit
me connaître. Si, par hasard, nous marchons sur le même sentier, sa vue perçante
me voit arriver de loin : il prend un chemin de traverse, afin d’éviter
le triple dard de platine que la nature me donna comme une langue ! Tu
me feras plaisir, ô Créateur, de me laisser épancher mes sentiments. Maniant
les ironies terribles, d’une main ferme et froide, je t’avertis que mon cœur
en contiendra suffisamment, pour m’attaquer à toi, jusqu’à la fin de mon existence.
Je frapperai ta carcasse creuse, si fort… » (Lautréamont, Les chants
de Maldoror, Chant deuxième).
A vrai dire, peut-on tuer
Dieu ? Oui et non. Le Christ a été crucifié. Dans le mystère de l’union
hypostatique, Dieu a-t-il goûté à la mort ? Peut-on, tout au moins,
vouloir tuer Dieu ? Maldoror en entonne le chant… maladroitement, tel un
cygne, sa propre mort en exergue. Mais sa maladresse n’excuse en rien sa
hardiesse.
Et, en effet, Monsieur de
Lautréamont, vous avez aujourd’hui le privilège sacrilège de compter au rang
des Enlumineurs de cauchemars.
« Au reste, de ce côté là, les esprits seront mieux préparés qu’en France pour savourer cette poésie de révolte. Ernest Naville (correspondant à l’Institut de France) a fait l’année dernière, en citant les philosophes et les poètes maudits, des conférences sur le problème du mal, à Genève et à Lausanne, qui ont dû marquer leur trace dans les esprits par un courant insensible qui va de plus en plus s’élargissant. Il l