Cher lecteur, il nous faut ici vous avertir que nous avons longuement hésité avant de rédiger cet article sur Léon Bloy. De fait, nous renonçons à retranscrire toutes les informations que nous avons pu recueillir. Cette autocensure, la seule que nous nous soyons imposée au cours de la rédaction de ce livre, ne peut s’expliquer en dehors du phénomène religieux. C’est la Crainte de Dieu, l’un des sept dons de l’Esprit Saint, qui a présidé à ce choix. En effet, les propositions théologiques ahurissantes auxquelles conduit la réflexion Bloyienne sur la Troisième Personne de la Sainte Trinité sont tellement blasphématoires qu’elles nous laissent interdits. Il est déjà assez grave d’avoir lu de tels blasphèmes pour ne pas en plus les répéter, même s’il s’agissait de les dénoncer. Car il est un crime irrémissible contre lequel le Christ en personne nous a mis en garde. Crime mystérieux. Crime extrême dont nous ne connaissons pas la teneur exacte. Ce qui implique une vigilance accrue de notre part :
« Aussi je vous le dis, tout péché et blasphème sera remis aux hommes, mais le blasphème contre l’Esprit ne sera pas remis. Et quiconque aura dit une parole contre le Fils de l’homme, cela lui sera remis ; mais quiconque aura parlé contre l’Esprit Saint, cela ne lui sera remis ni en ce monde ni dans l’autre » (Matthieu, 12. 31-32).
Nombreux sont les auteurs
que nous avons étudiés dans ce livre qui ont insulté allègrement le Seigneur
Jésus, mais aucun n’a eu l’audace meurtrière pour les âmes de déployer ses
injures au cœur du mystère Trinitaire.
« Je sais trop combien doit paraître absurde, monstrueux et blasphématoire de supposer un antagonisme au sein même de la Trinité » (Léon Bloy, Le Salut par les Juifs, Ch. XXVIII, 1892). Or, à la lecture de Bloy, un doute nous assaille et, le malaise grandissant, nous nous signons et passons vite…
Il ne nous revient pas de statuer sur le sort de l’âme de l’écrivain vociférateur et imprécateur, mais nous jugeons cependant prudent de nous éloigner de ses blasphèmes abrupts de peur de nous y abîmer…
« Oserai-je dire maintenant, fût-ce avec des timidités
de colombe ou des prudences de serpent, au risque de passer pour un misérable
fomentateur de sophismes hétérodoxes, le conflit adorablement énigmatique
de Jésus et de l’Esprit Saint ? » (Le Salut par les Juifs,
Ch. XXVII).
Il est déjà, à notre
goût, fâcheux que nous ayons entendu des choses innommables. L’indélicatesse de
l’auteur en pareille matière ne doit pas être reproduite.
Dès lors, dans cet
article, nous nous contenterons de préciser le contexte, - et seulement le
contexte -, dans lequel Bloy aboya jusqu’à la folie.
D’un point de vue théologique, cette fois, nous n’illustrerons que l’unique question de l’apocatastase de Judas. Notre chapitre traitant des « disciples du Pendu », ce n’est que sous cet angle, et encore partiellement, que nous aborderons la pensée de Léon Bloy dans cette étude. Pour tout le reste, nous l’abandonnons à ses ténèbres.
Léon Bloy aura tout fait
pour être antipathique à ses contemporains par son comportement et pour le
rester à la postérité par le dépôt infâme de son œuvre nauséabonde. Car ses
textes sont à la démesure de la souillure des écuries d’Ogias, indécrottables,
même sous des flots d’eau bénite. Pour pratiquer un tel lavement, il faudrait
auparavant détourner les eaux de leur source. Or, par cet itinéraire dévié,
elles seraient aussitôt perverties, à la plus grande joie hideuse de l’immonde
maître des lieux. Car il fut tout en corruption, voulant tout rabaisser à
la plus impropre des pauvretés. Il fut de sa seule volonté le plus indélicat
des pauvres, le plus outrancier et le plus impopulaire des mendiants :
« Bloy pratiquait surtout une mendicité littéraire.
Une partie importante de ses journées était consacrée à écrire des lettres
pour taper les uns et incendier les autres. Sa femme elle-même fut embauchée
pour écrire des lettres d’un ton plus féminin et plus larmoyant. Cette petite
industrie à domicile était d’ailleurs peu rentable. Bloy arriva par contre
à se brouiller avec un nombre considérable de gens qui ne donnaient pas ou
donnaient peu. Cependant, par un mécanisme psychologique fréquent chez les
tapeurs, les personnes qui trouvaient le moins de grâce à ses yeux étaient
celles qui lui envoyaient des subsides. Bloy a lui-même résumé son attitude
dans le titre qu’il a donné à la première partie de son journal : Le
Mendiant ingrat » (Harry Morgan, Vie des monstres, in Adamantine,
webzine).
A titre d’illustration de
cette abjecte méthode, citons un peu ce fameux journal ; à la date du
12 janvier 1900, Bloy s’y plaint que l’on s’inquiète de sauver son Salut
par les Juifs, dont les exemplaires sont retenus captifs chez un éditeur
en faillite. On pourra ce faire une idée de l’ignominieuse façon dont l’auteur
accueille les propositions et traite en retour les sollicitudes :
« Cher ami, je suis embarrassé pour vous répondre. Je ne voudrais pas vous désobliger et cependant vous m'offrez ceci : Les têtes de quelques amis à vous et à de Groux, entreprenant de se cotiser avec MES AMIS, à moi !!! à l'effet de récupérer le Salut par les Juifs en train de pourrir, dites-vous, chez l'éditeur devenu restaurateur de latrines, comme il convenait. En suite de ce premier effort on vendrait à mon profit le dit bouquin. Résultat : 5 ou 6 francs de rente par mois à l'auteur, dans deux ou trois ans. Il serait humain, R., de ne pas servir d'aussi amères plaisanteries à un écrivain chargé de famille qui ne se souvient pas de vous avoir fait du mal et qui ne demande plus rien à personne, heureux de savoir que ses amis sont rassurés sur son sort.
Toutefois, je ne crains pas que le Salut pourrisse chez
notre entrepreneur de plomberie. Cet homme [a] trop le désir et l'espoir
de vendre, un jour, avantageusement son bouillon.
Pour ce qui est des admirateurs dont
vous me parlez,
je déclare avec énergie que
le Salut par les Juifs
a été écrit, exclusivement, pour les esprits
angéliques et pour un très-petit nombre de chrétiens, trois ou quatre au plus,
impatients de rissoler dans l'huile bouillante. Les autres, les dilettanti,
les amateurs de la musique de mes pensées ou de la musique de mes phrases,
qui me laisseraient parfaitement crever de misère, ils me font horreur et
je ne peux exercer à leur égard d'autre miséricorde que le mépris.
Ergo, je trouve
déshonorant de les avoir pour lecteurs et je préfère que mes livres restent
parmi les robinets et les appareils hygiéniques. Quand je serai devenu riche,
ce qui ne peut tarder avec de tels suffrages, j'achèterai moi- même le bouillon
du Salut et je donnerai ce livre à quelques-uns. Le reste pourrira chez
moi.
Tout ce qui peut
être supposé, avec une bienveillance extrême, c'est que vos amis ont entrepris
de sauver quelque chose. Dans ce cas il serait apostolique de leur dire que
l'auteur devrait être secouru de préférence à son papier -- tout de même -- si
on n'est pas des pharisiens et des maudits. »
(Léon Bloy, Journal, 12 janv. 1900).
Ici, sous le masque de l’apparente pauvreté, sur le ton de l’humiliation racoleuse, aux accents du désintéressement sourd aux propositions d’aide mais pas muet pour faire la leçon en tout cas, perce l’orgueil. Un orgueil tel qu’il trouve son élévation la plus haute dans l’étalage du plus vil abaissement. L’objet de toute sollicitude est automatiquement tourné en ridicule. Ce galvaudage qui confine à l’art est une forme de dénigrement systématique bâtie sur l’absolue certitude de n’être accessible à rien provenant de ce monde corrompu. L’orgueil se construit ainsi sur une prétendue pureté de la pauvreté, dont le trône s’édifie sur une bassesse exacerbée et revendiquée. Pureté qui méprise, rabaisse et corrompt toute intention ou objet d’attention.
par
saint Thomas d'Aquin en collaboration avec Gargantua. Ils sont scolastiques
et gigantesques, eucharistiques et scatalogiques, idylliques et blasphématoires.
Aucun chrétien ne peut les accepter, mais aucun athée ne peut s'en réjouir.
Quand il insulte un saint, c'est pour sa douceur, ou pour l'innocence de sa
charité, ou la pauvreté de sa littérature ; ce qu'il appelle, on ne sait pourquoi,
« le catinisme de la piété », ce sont les grâces dévouées et souriantes de
François de Sales ; les prêtres simples, braves gens malfaçonnés par la triste
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