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V- Les visions sataniques de l'au-delà

            Rien qu'au titre, on l'aura compris, ce chapitre n'est pas une partie de plaisir. Le lecteur doit être averti qu'il trouvera ici un exposé des visions sataniques de l'enfer dans ses rapports à la divinité. Il va sans dire que je me porte en faux contre de telles conceptions blasphématoires qui, malheureusement, ne sont pas toujours étrangères à une certaine pensée ecclésiastique comme nous le verrons. La "Sainte" Inquisition en est notamment un des exemples les plus noirs de l'histoire de l'Eglise.

            Une fois de plus, nous rendrons au diable ce qui lui appartient, à savoir, le tourment de la morsure du feu éternel. En aucun cas nous partagerons son enfer. Et ce sera notre principale tâche que de montrer, avec l'appui des Saintes Ecritures, que l'enfer est un feu qui dévore de l'intérieur, c'est-à-dire qui n'a aucune cause extérieurement à la créature pécheresse elle-même, la créature pécheresse étant son propre bourreau.

            La première partie de ce chapitre visera à établir que l'enfer n'est pas un châtiment venu de Dieu. A la seule lecture des discours sataniques sur l'au-delà, on se rendra vite à l'évidence que la vision d'un enfer voulu par Dieu s'oppose absolument à la religion d'amour du Christ.

            Ainsi, dans cette étude sur l'apocatastase, nous en sommes donc arrivés à devoir disculpé Dieu de l'accusation d'être l'auteur de l'enfer. En effet, le sage Elihu dit à Job: "Patiente un peu et laisse moi t'instruire, car je n'ai pas tout dit en faveur de Dieu. Je veux tirer mon savoir de très loin, pour justifier mon Créateur" (Job, 36.2-3). Soyons donc patients et méthodiques. Pour ne pas se retrouver mordu à l'improviste par le serpent, commençons par apprendre qu'il mord et de quelle manière il mord.

            Dans le discours empoisonné du satanisme, il y a trois formulations principales de l'enfer:

            * la première consiste à faire de Dieu la source de la souffrance et du mal absolu de l'enfer.

            * la seconde vise à convaincre l'homme que la mort est une fin en soi, faisant ainsi de l'au-delà une chimère porteuse des plus vaines et des plus malsaines espérances et de ce monde un enfer soumis à l'empire implacable de la mort.

            * La troisième formulation de l'enfer revient à enfermer l'homme dans un monde terrestre fait de douleurs, de peines et de souffrances et ce, à perpétuité. C'est le cas entre autre avec la croyance à la réincarnation.

            A chacune de ces trois formulations mensongères de l'enfer, pour donner un éclairage pour le moins plus sain, nous répondrons en citant les Saintes Lettres et les dogmes de l'Eglise.

                        1/ L'enfer comme "châtiment de Dieu"

            Sous ce titre, il faut tout de suite relever une première ambiguïté: en effet, il y a là un jeu de "maux". Car la formule "châtiment de Dieu" ne veut pas dire que le châtiment est infligé par Dieu mais qu'il est subi par Dieu. Si l'on parle par exemple de "colère de Dieu", on entend bien par là que la colère vient de Dieu, mais si l'on dit "châtiment de Dieu, le mot châtiment implique et signifie que c'est Dieu qui est châtié. De sorte que si Dieu inflige l'enfer à Sa créature, Il en subira Lui aussi la souffrance.

            Car comment pourrait-on exprimer cette idée de châtiment sans y compromettre Dieu? Dira-t-on que "le châtiment de l'enfer est infligé par Dieu"? Dans ce registre de vocabulaire autour du mot "châtiment", nous sommes obligés de préciser qu'il est "par Dieu". Le mot "châtiment" implique donc que la peine subie soit imposée du dehors. Ce qui, dans le cas de l'enfer, ne saurait être applicable, Dieu n'étant pas responsable de l'enfer comme nous le montrerons. L'idée de l'enfer comme châtiment est donc à rejeter.

            Cependant, au contraire, le satanisme cherche à amalgamer Dieu dans la peine infernale. Pour le satanisme, l'idée même de châtiment impose la présence de Dieu en enfer, non pas certes aux côtés des damnés, mais plus invraisemblablement encore, par la vie de l'âme qu'Il continuerait de leur prodiguer tout en les privant de Son amour. De sorte que la créature de l'enfer serait torturée par son existence maintenue par Dieu dans la privation de Son amour! Telle est la principale thèse du satanisme sur la définition de l'enfer dans son rapport au divin. Pour se convaincre que de telles assertions puissent être soutenues, on pourra lire sous la folle plume de Jouhandeau l'horreur suivante: "L'Enfer est de la même essence que le ciel. C'est le même feu qui est ici lumière et là brûlure" (Jouhandeau, Algèbre des valeurs morales, Livre III, -1935-).

            C'est contre de pareilles pensées blasphématoires que nous aurons à lutter durant tout ce chapitre. Souhaitons-nous courage.

                                    A/ Du masochisme au sadisme divin

                                                a- "L'enfer, c'est les autres"

            Vous l'aurez remarqué, c'est une citation de Sartre qui nous sert de titre introductif à l'analyse du discours satanique sur l'enfer. Dans la dernière scène de Huit-clos, on trouve dans la bouche du personnage de Garcin l'abominable déclaration suivante: "Vous vous rappelez: le soufre, le bûcher, le gril... Ah! quelle plaisanterie. Pas besoin de gril, l'enfer, c'est les autres".

            "l'enfer, c'est les autres", cette phrase terrible peut nous impressionner, elle est peut-être l'une des plus sataniques de toutes les définitions de l'enfer. Sartre ne croyait pas semble-t-il en l'amour humain, et comme Simone de Beauvoir, les amants ne recherchaient qu'eux-mêmes à travers l'autre, sachant ne pouvoir jamais éprouver de l'autre, lui-même.

            Pour Simone de Beauvoir, la conscience n'a d'objet qu'elle-même. Elle est de la sorte insaisissable par autrui: "Quelque chose était là, qui s'étreignait soi-même avec certitude, on ne pouvait pas s'en approcher, même en pensée, au moment même où elle touchait au but, la pensée se dissolvait; ce n'était aucun objet saisissable, c'était un jaillissement et une fuite incessante, transparente pour soi seule et à jamais impénétrable. On ne pouvait que tourner en rond tout autour dans une éternelle exclusion" (L'invitée). Cependant, de la même façon, l'autre existe aussi pour lui-même à sa conscience. La rencontre des consciences les opposerait donc inéluctablement par leur volonté d'exister avant tout par elles-mêmes. L'enfer apparaît alors comme la perception de l'incommunicabilité. Dans la préface du livre de Violette Leduc, La Bâtarde, Simone de Beauvoir parle de son auteur en ces termes: "Ni ermite, ni exilée, son malheur, c'est de ne connaître avec personne un rapport de réciprocité: ou l'autre est pour elle un objet, ou elle se fait objet pour lui. Dans les dialogues qu'elle écrit transparaît son impuissance à communiquer: les interlocuteurs parlent côte à côte et ne se répondent pas. Même en amour, surtout en amour, l'échange est impossible". Telle est à travers l'autre la perception de l'incommunicabilité. Et cette perception est un enfer parce qu'elle me renvoie l'image de la présence "dévorante" des autres au monde. Je deviens pour eux également un élément du monde extérieur, moi qui pourtant désire l'exclusivité de ma propre conscience. L'autre qui prend conscience de mon existence, par là-même aliène en moi la liberté d'être tout entier présent au monde. Je commence à exister aussi par lui. Je ne suis plus à moi-même mon être propre, ma seule cause. Je ne me pense plus tout seul. J'existe aussi dans la conscience de l'autre, place où je ne peux moi-même exister sans lui. "On ne peut réaliser que les autres sont des consciences qui sentent du dedans comme on se sent soi-même. Quand on entrevoit ça, je trouve que c'est terrifiant: on a l'impression de n'être plus qu'une image dans la tête de quelqu'un d'autre" (Simone de Beauvoir, L'Invitée). Ou encore comme le dit Sartre: "S'il y a un Autre, quel qu'il soit, où qu'il soit, quels que soient ses rapports avec moi, sans même qu'il agisse autrement sur moi que par le pur surgissement de son être, j'ai un dehors, j'ai une nature; ma chute originelle, c'est l'existence de l'autre" (L'Etre et le Néant). On retrouve ici toute l'illusion du "ens causa sui" (de la cause de soi) dont nous avons déjà parlé avec le péché de l'ange. La pensée sartrienne est proprement satanique parce qu'elle fait de l'autre un monstre pour soi, et parce qu'elle donne pour finalité d'un être, lui-même. Chez Sartre, la conscience voudrait vivre pour elle-même débarrassée des autres. Ce n'est donc pas par hasard si, en épigraphe de L'Invitée, Simone de Beauvoir a placé la sombre sentence de Hegel: "Chaque conscience poursuit la mort de l'autre". Cette phrase est affreuse et elle nous renvoie à ce que nous avions dit cette fois-ci au sujet du diable sur le péché d'envie, cette "tristesse devant le bien d'autrui". Car l'existence n'est-elle pas le plus grand bien d'un être? Et c'est pourtant cela que Sartre semble haïr chez l'autre dans sa rencontre...

            Or l'amour, pour les chrétiens en tout cas, participe de cette rencontre de l'autre. Cette rencontre de l'autre nous invite à faire le don de nous-mêmes; car, si justement, nous réalisons, grâce à la présence de l'autre, que nous n'existons pas que pour nous même, l'autre ne se transforme pas pour autant en ennemi de notre intériorité comme Sartre l'affirme, mais bien au contraire, il est appel au partage et à l'épanouissement mutuel de cette intériorité. Seul le don a un sens. S'il n'y a pas d'amour, il y a mort et destruction de l'autre, et de soi. Toute rétention de soi vis à vis des autres signifie un manque, un mensonge, une destruction: ce sont là l'égoïsme, l'envie, le meurtre. Dans la phrase de Hegel, "Chaque conscience poursuit la mort de l'autre", les trois ingrédients sont confondus.

            Sur la question du don, Simone de Beauvoir va jusqu'à accuser l'autre par sa générosité d'accroître chez elle la perception de ses propres manques: "Le geste du don nous sépare des hommes; il n'engendre pas de réciprocité puisqu'il enchaîne le bénéficiaire par la gratitude dans l'exacte mesure où il libère le donateur" (Pyrrhus et Cinéas). De sorte qu'il n'y aurait pas de don désintéressé. "Positivement, le principe sera de traiter autrui comme une liberté à fin de sa liberté" (Pour une morale de l'ambiguïté). Si on avait besoin d'une définition de l'égoïsme, on saurait maintenant où la trouver!

            Tout autre est le don de l'amour: il fonde l'être et fait vivre, pas moins que cela.

            "Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères" (Première épître de Saint Jean, 3.14).

            Et Sœur Emmanuelle du Caire a répondu à Sartre par un très beau livre riant de bonheur, dont le titre évocateur, Le Paradis c'est les autres, à lui seul, a valeur de réponse.

            Obstinément, dans la ligne de pensée de "l'enfer, c'est les autres", des auteurs ont vu en l'homme la cause de la souffrance de Dieu, en d'autres termes Son enfer! Ainsi une créature pécheresse pourrait exterminer la vie de Dieu en elle, et rendre sa conscience au monde impénétrable pour l'amour. Dieu serait alors victime de cet autre qu'est l'homme pécheur, Impuissant à être présent en lui. La présence en enfer du pécheur impénitent condamnerait de la sorte Dieu à souffrir Lui-même l'enfer. Or, comme nous le rappelle avec effroi Jean Eluin, certains ont osé voir dans la détresse du Christ sur la Croix la souffrance de Dieu provoquée par les pécheurs de l'enfer: "On a prétendu que cette dernière angoisse de Jésus était liée au pouvoir invincible d'un enfer "maximiste"; à la vision lucide que l'extrémité de son sacrifice ne pourrait sauver tous les hommes de la haine-douleur de l'enfer" (J. Eluin, Quel enfer? -1994-).

            En se référant à la théorie de l'"autrui" développée par Sartre, l'enfer serait pour Dieu la perception de l'absence perpétuelle, du refus inébranlable des créatures pécheresses impénitentes qu'Il continuerait toutefois d'aimer. Dieu souffrirait à travers Sa créature: "Si Dieu est amour, il doit, nécessairement, être aussi douleur. Si l'amour est une communion parfaite entre celui qui aime et celui qui est aimé, il s'ensuit que toute peine, toute épreuve de l'être aimé assombrit et éprouve l'âme de celui qui aime. Si Dieu aime ses créatures comme un père ses enfants, - il les aime infiniment plus qu'un père terrestre n'aime les enfants de sa chair -, Dieu doit souffrir, et il souffre certainement, de la souffrance des êtres que sa puissance a tirés du néant. Et si Dieu, par nature, est infini en tout, on peut croire que sa douleur est infinie, comme est infini son amour" (Papini, Le Diable, -1953-).

            Pour revenir à un peu de sérénité, nous signalerons tout de même que Dieu ne peut souffrir. De telle sorte que Monseigneur Cristiani dans son ouvrage Présence de satan dans le monde moderne, au chapitre consacré à Papini, est obligé de rappeler l'immunité divine face à la souffrance des créatures: "L'amour des créatures qui exige leur liberté, ne peut exercer sur l'essence divine aucune influence, ne peut causer dans cette essence immuable aucune altération. Penser autrement, c'est confondre le fini avec l'infini, la créature avec le Créateur, les êtres avec l'ETRE! L'Amour tel qu'il est en Dieu est Dieu même"; ce qui implique que "cet amour substantiel et infini ne peut être que béatitude infinie et il exclut infiniment toute souffrance et toute douleur" (Mgr Cristiani, Présence de satan dans le monde moderne, -1959-).

            Dieu ne saurait souffrir dans Son être divin. Seul le Christ, Dieu fait homme, a permis à Dieu, par Son incarnation, c'est-à-dire par l'humanité dont Il s'est revêtue, d'éprouver la souffrance jusqu'à la mort sur la Croix. Seulement, il faut faire très attention de bien distinguer qu'en Jésus-Christ c'est l'homme qui a souffert et non Dieu. De nombreuses hérésies ont sombré dans l'erreur blasphématoire de cette souffrance de Dieu, car elles soutenaient, tels les théopaschites et les monophysites, qu'en Jésus-Christ, "la nature humaine était immergée et perdue dans la nature divine, au point de ne plus faire avec elle qu'une seule nature", tels encore les "Sabelliens qui au nom de l'unicité de la substance divine enseignaient que le Père était mort en croix aussi bien que le fils" (Mgr Cristiani, o.p. cit.). Du reste, ces anciennes hérésies gardent un écho qui résonne encore aujourd'hui dans certains discours théologiques. Comme nous l'indique Urs Von Balthasar dans son livre L'enfer, une question, et l'on ne sait pas trop ce que l'auteur en pense lui-même, cette souffrance de Dieu est de nouveau d'actualité. Elle trouve en effet comme par hasard un écho important autour de la question de l'apocatastase: "Il faut ajouter un dernier aspect, seulement présent en sourdine chez les Pères (de l'Eglise) mais médité plus intensément aujourd'hui dans la "théologie de la souffrance de Dieu". Alors que toutes les positions mentionnées partaient de l'homme, ici l'on pense à partir de Dieu: Est-il possible que la dernière des brebis perdues de son troupeau manque à Dieu? Cette brebis n'est-elle pas la créature pour qui il a répandu son sang et souffert l'abandon du Père?" (Urs Von Balthasar, L'enfer, une question -1991-). L'ensemble du passage cité est ambigu. Selon le théologien, il semblerait que Dieu puisse souffrir de l'absence auprès de Lui d'une seule de Ses brebis. Mais implicitement, on trouve chez Urs Von Balthasar une solution à cette souffrance, car, bien qu'il tourne autour du pot dans le dernier chapitre de son livre, c'est bien l'apocatastase qu'il cherche là à prêcher. Qu'une seule créature manque à Dieu et Dieu souffrirait infiniment de cette absence. A l'inverse, si toutes les créatures sont sauvées, Dieu n'a plus à souffrir, Son amour étant comblé. Mais comme nous l'avons vu avec Monseigneur Cristiani, Dieu ne souffre pas.

            La souffrance de Dieu comme motivation d'une profession de foi en l'apocatastase n'est donc qu'un montage théologique ahurissant. On remarquera à quel degré d’aberrations entraîne certaines idées blasphématoires. Et le sacrifice du Christ sur la Croix est évidemment la proie de choix des faux docteurs. "Ne faut-il pas avoir pitié de ce Dieu mis en croix?" s'entend-on dire. Mais le Christ, qui est Dieu fait homme, ne souffre cependant que dans son humanité. A moins d'être monophysite ou Sabellien, nous autres chrétiens sommes sûrs de cette immunité de Dieu face à la souffrance. Il est grave de constater que bon nombre de théologiens en viennent à semer le doute chez les fidèles sur la question de la souffrance et de son rapport au divin. A ce titre, l'attitude d'Urs Von Balthasar dans son dernier livre s'inscrit me semble-t-il dans une dangereuse ambiguïté.

            Car enfin, si Dieu, dans l'infinité et l'éternité de Son être, est touché par la souffrance, cette même souffrance devient elle-même infinie et éternelle. Ce qui reviendrait à faire exister l'enfer en Dieu; et ceux donc qui considèrent le salut comme étant la délivrance de toute souffrance, et je m'inscris volontiers parmi ces gens, verraient leur espérance anéantie. Il n'y aurait plus de Ciel, la souffrance y ayant soi-disant établi son règne sur le trône de Dieu! Mais insistons, car l'époque semble même hésiter sur des principes irrécusables dans leur définition, Dieu est immuable, Son être est indemne de toutes ces imperfections que nous trouvons chez les créatures qui seules, par leurs péchés, se rendent malheureuses.

                                                b- l'amour, feu de l'enfer?!

            "l'enfer, c'est l'autre", dans un sens cela revient à dire que l'homme est l'enfer de Dieu, mais dans l'autre sens que Dieu est l'enfer pour l'homme.

            Certains ont osé avancer que ce serait Dieu qui torturerait les âmes des damnés. Car à les écouter, la créature de l'enfer serait torturée par son existence maintenue par Dieu dans la privation de Son amour. L'amour de Dieu deviendrait la cause de toute peine en enfer. Pour abominable que soit cette vision sadique de Dieu, il faut encore malheureusement ajouter que de tels propos sont tenus par des ecclésiastiques. Abomination des abominations, dans l'Eglise même, certains clercs prêchent de telles horreurs. L'Abbé Verneaux qui est docteur en théologie, en philosophie et ès-lettre, de plus titulaire d'une chaire de métaphysique dans une faculté, écrit sans sourciller dans son livre intitulé Problèmes et mystères du mal l'abomination suivante: "Il y a d'abord à considérer dans l'âme damnée l'"absence de Dieu". Sans doute en un sens Dieu lui est présent comme en toute créature: il l'enveloppe et la pénètre par son immensité, il lui confère l'existence au plus intime d'elle-même par sa puissance. Mais en un autre sens Dieu ne lui est pas présent: en tant qu'il est son bien et sa fin, à titre d'objet d'amour. Or le titre auquel on est présent quelque part, chez quelqu'un, est d'une importance décisive. Dans l'âme damnée, la conjonction entre la présence de Dieu à titre de créateur et l'absence de Dieu à titre de fin dernière, est la source de son malheur".

            Je n'ai pas rêvé, vous avez comme moi bien lu: ce serait selon l'auteur Dieu qui serait la cause de la souffrance des créatures de l'enfer, ce serait Lui qui les torturerait en maintenant leur être dans la perception de l'amour qu'Il leur refuserait. Comment la pensée d'un homme, d'un ecclésiastique de surcroît, peut-elle sombrer dans la perversion à ce point? Ah ça! certes, l'enfer est présent dans son discours. Il n'y a pas de doute là-dessus. Ce qui laisse sans voix, c'est que ce discours semble pensé et avoir été mûrement médité. Comment est-il possible d'entendre un homme, censé avoir donné sa vie pour Dieu, parler ainsi de Dieu?! Car l'Abbé Verneaux s'ingénie à nous dépeindre dans les moindres détails ce sadisme divin dont il se fait, en zélé théologien de l'enfer, le porte-parole. Ainsi insiste-t-il sur cette notion d'absence, qui pour être un mal, nécessiterait que le damné désire encore Dieu! "Cependant une simple absence n'est pas un mal. L'absence de Dieu ne serait pas ressentie comme un malheur si le damné n'avait pas conscience en même temps du désir naturel qui le porte vers Dieu. Mais par rapport à cet appétit l'absence devient privation, et le sentiment d'absence, sentiment de frustration. Or que ce désir naturel subsiste chez le damné, cela ne peut faire aucun doute" (Problèmes et mystères du mal, l'enfer, -1983-). A quelle aberration n'arrive-t-on pas ici: Ce n'est plus le refus de Dieu par le damné mais son désir de Dieu qui le condamnerait à souffrir. A suivre ce théologien, ce serait pour le damné la non-satisfaction par Dieu de sa vocation à l'amour qui constituerait l'enfer. Quel blasphème!

            Ainsi la pensée satanique de l'enfer passe du masochisme de Dieu, qui souffrirait à cause de la créature refusant son amour, au sadisme de Dieu, qui torturerait sa créature en continuant de lui conférer l'être tout en lui refusant à jamais l'amour pour lequel Il l'a faite.

            "Que ne ferait pas l'âme damnée pour posséder Dieu?", ose demander un autre clerc, le Père G. Tomaseli, dans son ouvrage intitulé: Il y a un enfer... (-1965-). Dans ce livre, dans un chapitre au titre horrible, "être rejeté par l'amour", l'auteur ose comparer la peine du damné à celle d'une mère ayant perdu son enfant: "Chacun peut se faire une faible idée de la peine du damné par sa séparation d'avec Dieu, en pensant à ce qu'éprouve le cœur humain à la perte d'une personne chère: l'épouse à la mort de son époux, la mère à celle de ses enfants, les enfants à la mort de leurs parents". Cet homme est-il fou pour parler de la sorte? On supposera qu'il est inconscient de la portée de ce qu'il écrit. Car si la douleur du deuil d'une mère devant la mort de son enfant est comparable à la peine du damnée, cela veut dire, d'une part que le damné souffre parce qu'il aime un être cher qu'il vient de perdre, ce qui dans le cas de la damnation désigne Dieu comme l'être aimé perdu, d'autre part que la peine infligée par Dieu au damné est inique puisqu'Il rejetterait un être qui L'aime! C'est à croire que les gens écrivent sans réfléchir à ce qu'ils disent. Tant aberration est confondant. Et dire que ce prêtre a dû enseigné le catéchisme à des enfants et qu'il a même laissé pour preuve de sa perversion de pensée un livre publié dans plusieurs pays. On relèvera également, avec atterrement, le fait que ce livre Il y a un enfer... a reçu par deux fois l'imprimatur, une première fois en 1954 en Italie et en 1965 en France pour l'édition française. Mais l'inanité de ce livre ne se résume pas à cette seule ineptie. C'est un tissu d'abjections, l'auteur s'y permettant de donner des noms de personnes damnées, alors que l'Eglise officiellement s'y est toujours refusée quant à elle. Le Père Tomaseli outrepasse la mesure, allant de ce point de vue plus loin que l'Abbé Verneaux, qui en cette affaire, a tout au moins la prudence de faire la déclaration suivante: "La première remarque à faire est que, si l'existence de l'enfer est certaine, ainsi que la présence en lui des anges rebelles dont il est pour ainsi dire le lieu propre, en ce qui concerne les hommes le nombre des damnés nous est absolument inconnu. Ni l'Evangile ni l'Eglise n'en dise rien. Cette réserve est la sagesse même car pour aucun homme, pour aucun individu déterminé, l'on ne peut jamais affirmer catégoriquement qu'il est damné" (Abbé Verneaux, Problèmes et mystères du mal, -1983-).

            De ce qu'ont pu dire les Pères Tomaseli et Verneaux, je n'ai rien inventé: leurs livres existent, et leur contenu colporte ce langage blasphématoire que nous venons de mettre en évidence. Malheureusement, ce ne sont pas des cas isolés. L'histoire de l'Eglise est entachée par les pensées et les actions de certains de ses membres, qui telles de puissantes malédictions continuent de transmettre des fruits empoisonnés. S'il fallait pour s'en convaincre ne citer qu'une seule de ces formes maléfiques qui ont ruinées le crédit de l'Eglise pour des siècles, l'inquisition tiendrait le haut du pavé. Et que l'on ne vienne pas me dire que c'eût été pire pour l'avenir de la foi catholique si cette inquisition n'avait pas vu le jour. Le discrédit et le voile de ténèbres dont l'inquisition a enveloppé le message évangélique ne peut être levé sans peine. Sainte Thérèse d'Avila a été inquiétée par l'inquisition, Saint Ignace de Loyola a failli y laisser la vie et a goûté à la prison, mais surtout, n'oublions pas le procès inique de Jeanne d'Arc.

            Nous ne passerons pas sur ce douloureux sujet, et nous montrerons que l'Eglise par ses membres n'est pas indemne des pires manquements au message du Christ. Du reste, la vision de l'enfer apparaît comme une des pires tentations face à laquelle les gens d'Eglise ont souvent cédé sans retenue ni prudence. La peur devient alors le moteur de la religion. Cependant, la peur n'a jamais été le ressort du langage évangélique. Saint Jean dit: "Il n'y a pas de crainte dans l'amour; au contraire, le parfait amour bannit la crainte, car la crainte suppose un châtiment, et celui qui craint n'est pas consommé en amour" (Première épître de Saint Jean, 4.18). En matière religieuse, l'usage de la peur est donc une faute contre la découverte de l'amour de Dieu. Déjà, de ce seul point de vue là, l'inquisition et son obsession de l'enfer sont contraires à l'amour du Christ. En avouant cela, je n'en reste pas moins chrétien. Car pour être catholique en vérité, il faut savoir reconnaître les fautes de l'Eglise, en être blessé, mais finalement accéder à cette certitude selon laquelle un lourd passé vaut mieux, pour se prémunir à l'avenir de nouvelles erreurs, que pas d'histoire du tout. Sur une question aussi tendancieuse que celle de l'enfer, voyons donc maintenant avec l'inquisition ce qui ne doit plus être commis.

                                    B/ La "Sainte" Inquisition

            La religion ne doit pas chercher à prendre le pouvoir sur les âmes et sur les consciences. Son rôle d'éducation des âmes et des consciences doit au contraire être libérateur. Les chrétiens doivent être forts et vrais de cette liberté que connaissent ceux qui vivent en enfants de Dieu. La Vérité doit être libératrice, la peur est une arme de l'Ennemi.

            La déviation religieuse que représente l'inquisition sera d'abord rapidement exposée d'un point de vue historique. Mais c'est sous son aspect procédurier qu'il nous importera principalement d'en dégager toutes les anomalies. Car l'inquisition est avant tout un système de pensée judiciaire, dans lequel la justice humaine remplace en matière spirituelle la justice divine.

                                                a- Historique

            * Les origines de l'inquisition: En 1162, le Roi de France Louis VII réclame au Pape Alexandre III que pouvoir soit donné à l'Evêque de Reims de poursuivre et de réprimer les hérétiques: "Que votre sagesse donne une attention toute particulière à cette peste et qu'elle la supprime avant qu'elle puisse grandir. Je vous en supplie pour l'honneur de la foi chrétienne, donnez toute liberté dans cette affaire à l'Archevêque; il détruira ceux qui s'élèvent ainsi contre Dieu; sa juste sévérité sera louée par tous ceux qui dans ce pays sont animés d'une vraie piété. Si vous agissiez autrement les murmures ne s'apaiseraient pas facilement et vous déchaîneriez contre l'Eglise romaine les plus violents reproches de l'opinion". Le Pape Alexandre acquiesce à cette demande. De même, au synode de Vérone en 1184, le Pape Lucius III et l'Empereur du Saint Empire Germanique Frédéric Barberousse enjoignent aux Evêques de pourchasser les hérétiques et de les traîner en justice (Décrétales, Livre V, titre VII, De Haereticis, c.9).

            Par la suite, les Evêques s'acquittant plus ou moins mollement de cette mission, les Papes décident d'envoyer des légats pour suppléer à leur manque de zèle. C'est là l'origine des légations qui parcoururent le Languedoc pour combattre l'hérésie cathare. En 1209, la croisade contre les Albigeois est lancée. Contre les hérétiques, le roi de France apporte à l'Eglise son soutien armé. Mais à l'exigence religieuse d'extirper l'hérésie se mêle conjointement le calcul politique. Le roi de France compte bien récupérer à son profit les terres qui seront confisquées aux seigneurs ayant fait cause commune avec les cathares.

            Il faut toutefois savoir que le nom d’inquisition est inconnu lors de la guerre contre les Cathares. A cette époque, l'inquisition n'existe pas encore en tant que procédure judiciaire. Car ce que nous connaissons sous le terme d'inquisition est une organisation légale voulue par le Pape et spécifiquement chargée de juger les hérétiques. L'inquisition est donc un tribunal religieux qui apparaît dans l'Eglise au XIII° siècle, après la croisade contre les cathares.

            Très précisément, c'est la constitution de février 1231 du Pape Grégoire IX, définissant la procédure inquisitoriale, qui doit être retenue comme date fondatrice de l'inquisition. C'est alors que l'inquisition apparaît comme une nouvelle institution religieuse.

            * Les trois principales formes historiques: L'inquisition contre les hérétiques est la première forme d'inquisition. Elle débute dans le sillage de la croisade menée par Simon de Montfort contre les Cathares, avec l'établissement en 1233 de la circonscription inquisitoriale de Toulouse. Tout commence donc en France. En effet, d'après les bulles des 13, 20 et 22 avril 1233 du Pape Grégoire IX, l'ordre des Dominicains est désigné pour former des tribunaux d'exception contre les hérétiques. Les premiers tribunaux s'installent en Languedoc pour achever le travail commencé par les croisés.

            L'inquisition contre la sorcellerie n'apparaît que plus tard. On assiste alors à un élargissement de la notion d'hérésie. La sorcellerie tombe sous la juridiction de l'inquisition pour le motif suivant: la sorcellerie équivaut dans la société chrétienne médiévale au crime d’idolâtrie. Ce crime qui marque un retour au paganisme antique est reconnu pour une infidélité et donc condamné comme une hérésie. Il faut rappeler que les chrétiens de l'antiquité considéraient l’idolâtrie des peuples païens comme un culte offert aux démons. Déjà dans le Deutéronome on lit: "Ils sacrifiaient à des démons qui ne sont pas Dieu" (Dt 32.17). Ainsi le peuple Hébreux condamnait-il les dieux qu'adoraient les autres peuples comme étant des démons. Le retour au culte des idoles, ces représentations démoniaques, est donc une terrible offense faite à Dieu. Dans le Lévitique, il est très clairement rappelé aux Hébreux, qui eurent la tentation de rendre un culte au Veau d'or, qu'"ils n'offriront plus leurs sacrifices à ces satyres dans l'obédience desquels ils se prostituaient" (Lévitique 17.7). L’idolâtrie signifie une infidélité à Dieu. Ce même terme d'infidélité aura au moyen âge pour synonyme le mot hérésie. De fait, au moyen âge chrétien, suivant cet héritage biblique, le sabbat des sorcières sera dénoncé et réprimé comme une forme extrême de l’idolâtrie, donc de l'hérésie. Du reste, de façon générale, toute forme d'hérésie est alors considérée comme une perversion démoniaque. En ce qui concerne le sabbat des sorcières, des femmes étaient censées, selon la croyance en vogue, se prostituer avec les démons et le diable en personne. Ce furent naturellement des théologiens obsédés par les phénomènes diaboliques qui colportèrent cette croyance selon laquelle les femmes et les hommes pouvaient avoir des rapports sexuels avec les démons. Ces gens savants, incarnant la pensée de leur époque, inventèrent les figures monstrueuses des incubes et des succubes, capables de voler aux hommes durant leur sommeil leur semence pour féconder des femmes avec lors des sabbats. Ces délires furent malheureusement cautionnées par l'Eglise, qui donna au plus incroyable ouvrage sur le sujet, Le marteau des sorcières, son imprimatur! Le marteau des sorcières, connu sous son titre en latin comme le Malleus Malificarum, fut écrit en 1484 par un inquisiteur Dominicains, Henry Institoris, et son confrère théologien Jacques Sprenger. Cet ouvrage insensé qui reçut l'aval de l'université théologique de Cologne connaîtra une vogue non démentie jusqu'au XVII° siècle avec 28 éditions consécutives. De telles sommes démonologiques pulluleront et entretiendront durant plusieurs siècles une véritable psychose collective, qui, inévitablement, engendrera les pires dérapages. Du reste, au XVI° siècle, les protestants eux-mêmes allumeront de nombreux bûchers de sorciers des deux sexes, Luther étant alors intimement persuadé que le regain d'activité des démons était le signe patent de la colère du diable envers l’œuvre nouvelle de la Réforme. Personne ne semble pouvoir échapper à l'état d'esprit de son époque...

            L'inquisition espagnole doit-être traitée comme une forme à part, parce qu'elle est strictement d'ordre national et qu'elle échappe totalement au contrôle de Rome. Cette forme de l'inquisition s'auto-organisera autour de l'unique Eglise d'Espagne et servira d'instrument de terreur au service de l'état, dont il faut dire ici que l'Eglise ne se distinguait pas. On est même en demeure de se demander quelle communion existait encore entre cette église nationale et l'Eglise universelle. Le Pape Sixte IV par une bulle de 1482 réclama sans succès l'entrée en fonction d'un contrôle épiscopale sur l'Inquisition royale et la possibilité accordée aux accusés d'un recours à Rome, mais le roi Ferdinand II se refusa à entériner les décrets pontificaux. En 1559, alors que Rome tentait de reprendre le contrôle de l'inquisition, la couronne d'Espagne alla, pour garder tout pouvoir en ce domaine, jusqu'à faire incarcérer le Primat d'Espagne en personne, Bartolomé de Carranza. Pour mémoire, c'est en 1484, décidément une année bien noire, que le tristement célèbre Torquemada fut nommé inquisiteur général du Royaume d’Espagne.

                                            

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Ressources Internet:

- Urs Von Balthazar et l'apocatastase:
http://www.eleves.ens.fr/aumonerie/numeros_en_ligne/careme98/bourgeois.html
- Pour une théologie de l'espérance:
http://www.eleves.ens.fr/aumonerie/numeros_en_ligne/careme98/legendre.html
- L'enfer est-il théologique?
http://www.eleves.ens.fr/aumonerie/numeros_en_ligne/careme98/lavaud.html
- L'éternité des peines de l'enfer:
http://perso.wanadoo.fr/catholicus/Enfer/enfer9.html

- Article encyclopédiqueApocatastase en ligne:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Apocatastase

- La traduction du mot Apokatastasis et la question de la restauration de la Royauté d'Israël:
http://www.rivtsion.org/f/index.php?sujet_id=649
- Gestes et déclarations du Christ à caractère apocatastatique
http://www.rivtsion.org/f/index.php?sujet_id=497
- Le mystère de l’Apocatastase
http://www.rivtsion.org/f/index.php?sujet_id=2757
- Qu'est-ce que l'apocatastase ?
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